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Page:Brunet - Les hypocrites (1) - La folle expérience de Philippe, 1945.pdf/105

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LA FOLLE EXPÉRIENCE

— Ça vous fera du bien, le Père parle d’états semblables aux vôtres…

Philippe est satisfait : les sous de l’abbé, un livre à brocanter (l’abbé ne s’est pas aperçu qu’il y avait une dédicace : au fait, l’abbé ne l’a peut-être que prêté) et on le recommande au Père Chartrand, « un autre à taper » !

Dans la rue, Philippe n’avait plus l’intention de se coucher. Il passera la nuit au restaurant, après s’être muni de jaune, l’abbé lui a donné suffisamment pour sa nuit.

Quand Philippe entra, la salle était presque vide. Minuit approchait, et on aurait dit pourtant les petites heures du matin, lorsque les derniers clients et les premiers mangent lentement, presque endormis. Quelque bruit de vaisselle, de friture, des conversations qui s’ébauchent, puis le silence que la rumeur des trams attardés coupait brusquement. Philippe allait s’installer, faire son nid pour la nuit, mais une inquiétude le saisit, une inquiétude qu’il ne se formulait pas, ce qui angoissait d’autant ce raisonneur. Il avait tiré son bloc-notes, tout à l’heure le goût d’écrire avait été très vif, et il attendait. Pourtant, il venait d’avaler sa jaune, et tout son corps nageait dans le bien-être. Il se rappela la voix de l’abbé : c’était ça. Et Philippe se laissa tomber dans une sorte d’attendrissement sentimental, l’état dont il professait le plus d’horreur. Il se dôpait pour oublier, être un autre : n’était-ce pas plutôt