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Page:Brunet - Les hypocrites (1) - La folle expérience de Philippe, 1945.pdf/122

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DE PHILIPPE

pentait la pièce et tout haut, dans son énervement, jouait la comédie :

— Une minute de plus, je me jette dans les roues d’un tramway.

La dôpe avalée, Philippe, fouetté tout de suite, regardait crânement le commis, sans avancer la monnaie.

— Ça sera pour les journaux français.

— Vous ne pourriez pas me donner une tablette de chocolat, aussi, j’ai faim.

— Je voudrais vous faire voir des vers que j’ai écrits, cette nuit. Vous me direz ce que ça vaut… J’ai fait ça pour m’amuser.

— On fait toujours ça pour s’amuser.

Philippe prenait déjà son air de juge, le juge qui vendrait son jugement d’une bouteille de jaune. Il était plus à l’aise. Il reprenait son air et son ton péremptoire d’avant la dôpe et le parasitisme. Il se dôpait peut-être ainsi parce qu’il n’avait plus de chaire et que d’affirmer à ceux qui ne peuvent répondre lui était nécessaire comme une nourriture.

Le commis faisait des manières, n’en finissait plus de tirer d’un carton son poème. Le carton était bourré et Philippe avait déjà peur. Il n’en était pas moins prêt à l’indulgence, à lui trouver du talent : ce lui était même plaisir de louer ou de critiquer, pourvu qu’il fût seul à parler.