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Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/46

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s’expliquer sur la renaissance de l’art en Italie comme sur la Révolution française, et comme sur les Origines du Christianisme. Les questions les plus hautes de la philosophie leur ont été remises. Et ils les ont audacieusement tranchées, à l’imitation de leur maître, et pas plus que lui, d’ailleurs, ils ne se sont aperçus que, si les sciences expérimentales « ne vont au fond de rien », les sciences philologiques, qui ne sont pas des sciences — et auxquelles on n’en donne le nom que par politesse[1] — se jouent à la superficie des choses.

  1. C’est un grand et fâcheux abus que de parler couramment, comme on le fait aujourd’hui, de sciences morales, ou politiques, et même de sciences historiques. La philologie, l’épigraphie, l’ethnographie ne sont pas plus des sciences que la glyptique ou la numismatique.

    Aimez ce que jamais on ne verra deux fois,

    a dit un grand poète Mais au contraire, il n’y a de « science » que de ce qui s’est vu deux fois. La répétition du phénomène, quel qu’il soit, est la condition nécessaire de son « caractère scientifique ». Mais alors, me disait Gaston Paris, quand nous discutions ce problème, la géologie ne sera donc pas une science ? Et je lui répondais : Non, la géologie n’est pas une science. Savoir, c’est « pouvoir ou prévoir » et les géologues sont incapables de l’un comme de l’autre. Ils seront donc tout ce que vous voudrez, et au besoin « plus que des savants », mais non pas des savants. Et si vous me demandez quel est l’intérêt de la distinction, la réponse est plus facile encore. C’est que les « sciences » seules, et les « vraies sciences » ont le droit d’invoquer, et encore sous des conditions définies, l’immutabilité des « Lois de la nature ». La philologie ne l’a pas, et, ne l’ayant pas, il lui est interdit de raisonner si elle l’avait, qui est ce que Renan a pourtant fait toute sa vie.