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Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/81

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quefois la funeste influence morale qui accompagne toujours la culture intellectuelle, surtout scientifique. On peut la caractériser comme consistant à développer la personnalité par l’exaltation de l’orgueil, et à comprimer la sociabilité par une concentration solitaire. » Oui, le savant, mais surtout l’érudit, le philologue, l’hébraïsant, en arrivent très vite à se complaire en eux, dans l’exception qu’ils croient être, et non moins promptement à se figurer que la civilisation n’a d’objet que de favoriser celui de leurs études[1]. C’est justement le cas de Renan. Il a cru, très sérieusement, que les « hautes études », comme on les appelle, faisant l’objet de la civilisation, la civilisation se résumait en quelque sorte en elles, et du « critérium intellectuel » il

  1. Le mal ne date pas d’hier, et il semble en vérité qu’il soit inséparable de la connaissance des langues anciennes, à l’exception du latin, qui est nôtre, et que nous continuons de parler même en français. Car les savants, en général, sont assez contents d’eux-mêmes, et je conviens qu’on ne s’honore pas médiocrement de savoir la physique ou la géologie, mais de toutes les formes de l’insolence intellectuelle, je ne crois pas que le monde en ait connu qui surpasse ou seulement qui atteigne l’insolence philologique, et cela, depuis l’exemple qu’en ont donné les érudits de la Renaissance : un Valla, un Filelfe, un Pogge ou un Scaliger. Leurs successeurs n’ont pas dégénéré d’eux. Ils ont passé les poètes eux-mêmes en naïve satisfaction d’être ce qu’ils étaient ; et je n’ai vu d’orgueil comparable à celui d’Hugo que celui de Renan.