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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/261

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entre Calais et Boulogne ; la longueur de ces rochers le long de ces côtes est à très peu près la même de chaque côté, c’est-à-dire d’environ six milles ; le peu de largeur du canal, qui dans cet endroit n’a pas plus de vingt-quatre milles anglais de largeur, et le peu de profondeur, eu égard à la mer voisine, font croire que l’Angleterre a été séparée de la France par accident ; on peut ajouter à ces preuves qu’il y avait autrefois des loups et même des ours dans cette île, et il n’est pas à présumer qu’ils y soient venus à la nage, ni que les hommes aient transporté ces animaux nuisibles ; car, en général, on trouve les animaux nuisibles des continents dans toutes les îles qui en sont fort voisines, et jamais dans celles qui en sont éloignées, comme les Espagnols l’ont observé lorsqu’ils sont arrivés en Amérique. (Voyez Ray’s Disc., p. 208.)

Du temps de Henri Ier, roi d’Angleterre, il arriva une grande inondation dans une partie de la Flandre par une irruption de la mer ; en 1446, une pareille irruption fit périr plus de 10 000 personnes sur le territoire de Dordrecht, et plus de 100 000 autour de Dullart, en Frise et en Zélande, et il y eut dans ces deux provinces plus de deux ou trois cents villages de submergés ; on voit encore les sommets de leurs tours et les pointes de leurs clochers qui s’élèvent un peu au-dessus des eaux.

Sur les côtes de France, d’Angleterre, de Hollande, d’Allemagne, de Prusse, la mer s’est éloignée en beaucoup d’endroits. Hubert Thomas dit, dans sa description du pays de Liège, que la mer environnait autrefois les murailles de la ville de Tongres, qui maintenant en est éloignée de 35 lieues, ce qu’il prouve par plusieurs bonnes raisons, et, entre autres, il dit qu’on voyait encore de son temps les anneaux de fer dans les murailles auxquelles on attachait les vaisseaux qui y arrivaient. On peut encore regarder comme des terres abandonnées par la mer, en Angleterre, les grands marais de Lincoln et l’île d’Ély, en France la Crau de la Provence ; et même la mer s’est éloignée assez considérablement à l’embouchure du Rhône depuis l’année 1665. En Italie il s’est formé de même un terrain considérable à l’embouchure de l’Ame, et Ravenne, qui autrefois était un port de mer des Exarques, n’est plus une ville maritime ; toute la Hollande paraît être un terrain nouveau, où la surface de la terre est presque de niveau avec le fond de la mer, quoique le pays se soit considérablement élevé et s’élève tous les jours par les limons et les terres que le Rhin, la Meuse, etc., y amènent ; car autrefois on comptait que le terrain de la Hollande était en plusieurs endroits de 50 pieds plus bas que le fond de la mer.

On prétend qu’en l’année 860 la mer, dans une tempête furieuse, amena vers la côte une si grande quantité de sables qu’ils fermèrent l’embouchure du Rhin auprès de Catt, et que ce fleuve inonda tout le pays, renversa les arbres et les maisons, et se jeta dans le lit de la Meuse. En 1421, il y eut une autre inondation qui sépara la ville de Dordrecht de la terre ferme, submergea soixante-douze villages, plusieurs châteaux, noya 100 000 âmes, et fit périr une infinité de bestiaux. La digue de l’Yssel se rompit, en 1638, par quantité de glaces que le Rhin entraînait, qui, ayant bouché le passage de l’eau, firent une ouverture de quelques toises à la digue, et une partie de la province fut inondée avant qu’on eût pu réparer la brèche ; en 1682, il y eut une pareille inondation dans la province de Zélande, qui submergea plus de trente villages et causa la perte d’une infinité de monde et de bestiaux qui furent surpris la nuit par les eaux. Ce fut un bonheur pour la Hollande que le vent de sud-est gagna sur celui qui lui était opposé ; car la mer était si enflée que les eaux étaient de 18 pieds plus hautes que les terres les plus élevées de la province, à la réserve des dunes. (Voyez les Voyages hist. de l’Europe, t. V, p. 70.)

Dans la province de Kent, en Angleterre, il y avait à Hythe un port qui s’est comblé malgré tous les soins que l’on a pris pour l’empêcher, et malgré la dépense qu’on a faite plusieurs fois pour le vider : on y trouve une multitude étonnante de galets et de coquillages apportés par la mer dans l’étendue de plusieurs milles, qui s’y sont amoncelés autrefois, et qui de nos jours ont été recouverts par de la vase et de la terre sur laquelle