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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/296

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V. — Sur l’inclinaison des couches de la terre dans les montagnes.

J’ai dit que « dans les plaines les couches de la terre sont exactement horizontales, et qu’il n’y a que dans les montagnes où elles soient inclinées, comme ayant été formées par des sédiments déposés sur une base inclinée, c’est-à-dire sur un terrain penchant. »

Non seulement les couches de matières calcaires sont horizontales dans les plaines, mais elles le sont aussi dans toutes les montagnes où il n’y a point eu de bouleversement par les tremblements de terre ou par d’autres causes accidentelles ; et, lorsque ces couches sont inclinées, c’est que la montagne elle-même s’est inclinée tout en bloc et qu’elle a été contrainte de pencher d’un côté par la force d’une explosion souterraine, ou par l’affaissement d’une partie du terrain qui lui servait de base. L’on peut donc dire qu’en général toutes les couches formées par le dépôt et le sédiment des eaux sont horizontales, comme l’eau l’est toujours elle-même, à l’exception de celles qui ont été formées sur une base inclinée, c’est-à-dire sur un terrain penchant, comme se trouvent la plupart des mines de charbon de terre.

La couche la plus extérieure et superficielle de la terre, soit en plaine, soit en montagne, n’est composée que de terre végétale, dont l’origine est due aux sédiments de l’air, aux dépôts des vapeurs et des rosées, et aux détriments successifs des herbes, des feuilles et des autres parties des végétaux décomposés. Cette première couche ne doit point être ici considérée ; elle suit partout les pentes et les courbures du terrain, et présente une épaisseur plus ou moins grande, suivant les différentes circonstances locales[1]. Cette couche de terre végétale est ordinairement bien plus épaisse dans les vallons que sur les collines ; et sa formation est postérieure aux couches primitives du globe, dont les plus anciennes et les plus intérieures ont été formées par le feu, et les plus nouvelles et les plus extérieures ont été formées par les matières transportées et déposées en forme de sédiments par le mouvement des eaux. Celles-ci sont, en général, toutes horizontales, et ce n’est que par des causes particulières qu’elles paraissent quelquefois inclinées. Les bancs de pierres calcaires sont ordinairement horizontaux ou légèrement inclinés ; et, de toutes les substances calcaires, la craie est celle dont les bancs conservent le plus exactement la position horizontale. Comme la craie n’est qu’une poussière des détriments calcaires, elle a été déposée par les eaux dont le mouvement était tranquille et les oscillations réglées ; tandis que les matières qui n’étaient que brisées et en plus gros volume ont été transportées par les courants et déposées par le remous des eaux ; en sorte que leurs bancs ne sont pas parfaitement horizontaux comme ceux de la craie. Les falaises de la mer en Normandie sont composées de couches horizontales de craie si singulièrement coupées à plomb qu’on les prendrait de loin pour des murs de fortification. L’on voit entre les couches de craie des petits lits de pierre à fusil noire, qui tranchent sur le blanc de la craie : c’est là l’origine des veines noires dans les marbres blancs.

Indépendamment des collines calcaires, dont les bancs sont légèrement inclinés et dont la position n’a point varié, il y en a grand nombre d’autres qui ont penché par différents

  1. Il y a quelques montagnes dont la surface à la cime est absolument nue, et ne présente que le roc vif ou le granit, sans aucune végétation que dans les petites fentes, où le vent a porté et accumulé les particules de terre qui flottent dans l’air. On assure qu’à quelque distance de la rive gauche du Nil, en remontant ce fleuve, la montagne composée de granit, de porphyre et de jaspe, s’étend à plus de vingt lieues en longueur, sur une largeur peut-être aussi grande, et que la surface entière de la cime de cette énorme carrière est absolument dénuée de végétaux, ce qui forme un vaste désert, que ni les animaux ni les oiseaux, ni même les insectes, ne peuvent fréquenter. Mais ces exceptions particulières et locales ne doivent point être ici considérées.