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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/108

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breux, qui sont pourvus des organes nécessaires pour cette production de matière pierreuse ; je dis que le nombre de ces animaux est immense, infini, car l’imagination même serait épouvantée de leur quantité si nos yeux ne nous en assuraient pas en nous démontrant leurs débris réunis en grandes masses, et formant des collines, des montagnes et des terrains de plusieurs lieues d’étendue. Quelle prodigieuse pullulation ne doit-on pas supposer dans tous les animaux de ce genre ! Quel nombre d’espèces ne faut-il pas compter, tant dans les coquillages et crustacés actuellement existants, que pour ceux dont les espèces ne subsistent plus et qui sont encore de beaucoup plus nombreux ! Enfin, combien de temps et quel nombre de siècles n’est-on pas forcé d’admettre pour l’existence successive des unes et des autres ! Rien ne peut satisfaire notre jugement à cet égard, si nous n’admettons pas une grande antériorité de temps pour la naissance des coquillages[NdÉ 1] avant tous les autres animaux, et une multiplication non interrompue de ces mêmes coquillages pendant plusieurs centaines de siècles, car toutes les pierres et craies disposées et déposées en couches horizontales par les eaux de la mer ne sont en effet formées que de ces coquilles ou de leurs débris réduits en poudre, et il n’existe aucun autre agent, aucune autre puissance particulière dans la nature qui puisse produire la matière calcaire, dont nous devons par conséquent rapporter la première origine à ces êtres organisés.

Mais dans les amas immenses de cette matière toute composée des débris des animaux à coquilles, nous devons d’abord distinguer les grandes couches, qui sont d’ancienne formation, et en séparer celles qui, ne s’étant formées que des détriments des premières, sont à la vérité d’une même nature, mais d’une date de formation postérieure ; et l’on reconnaîtra toujours leurs différences par des indices faciles à saisir. Dans toutes les pierres d’ancienne formation, il y a toujours des coquilles ou des impressions de coquilles et de crustacés très évidentes, au lieu que dans celles de formation moderne il n’y a nul vestige, nulle figure de coquilles : ces carrières de pierres parasites, formées du détriment des premières, gisent ordinairement au pied ou à quelque distance des montagnes et des collines, dont les anciens bancs ont été attaqués dans leur contour par l’action de la gelée et de l’humidité ; les eaux ont ensuite entraîné et déposé dans les lieux plus bas toutes les poudres et les graviers détachés des bancs supérieurs, et ces débris stratifiés les uns sur les autres par le transport et le sédiment des eaux ont formé ces lits de pierres nouvelles où l’on ne voit aucune impression de coquilles, quoique ces pierres de seconde formation soient comme la pierre ancienne entièrement composées de substance coquilleuse.

Et dans ces pierres de formation secondaire, on peut encore en distinguer de plusieurs dates différentes, et plus ou moins modernes ou récentes : toutes celles, par exemple, qui contiennent des coquilles fluviatiles, comme on en voit dans la pierre qui se tire derrière l’Hôpital général à Paris, ont été formées par des eaux vives et courantes, longtemps après que la mer a laissé notre continent à découvert ; et néanmoins la plupart des autres, dans lesquelles on ne trouve aucune de ces coquilles fluviatiles, sont encore plus récentes. Voilà donc trois dates de formation bien distinctes : la première et plus ancienne est celle de la formation des pierres, dans lesquelles on voit des coquilles ou des impressions de coquilles marines, et ces anciennes pierres ne présentent jamais des impressions de coquilles ter-

  1. Un groupe d’animaux beaucoup plus ancien que celui des « coquillages », c’est-à-dire des mollusques, celui des foraminifères, a joué et joue encore un rôle d’une extrême importance dans la formation des terrains calcaires. Les foraminifères sont des animaux tout à fait inférieurs, appartenant à la classe des protozoaires, formés par une masse protoplasmique émettant de longs prolongements, à l’aide desquels l’animal se déplace dans l’eau et s’enveloppe d’un test calcaire. Ces animaux existent en quantités prodigieuses dans toutes les mers entre le 60e degré de latitude nord et le 60e degré de latitude sud. Ce sont leurs tests calcaires qui forment presque uniquement le sol des mers dans toute cette région du globe.