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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/154

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feront que de la mauvaise chaux ; et, s’ils sont composés de plus d’argile, de limon, de lave ou d’autres substances vitreuses que de matière calcaire, ils ne se convertiront point en chaux, ils résisteront à l’action des acides, et, n’étant marbres qu’en partie, on doit, comme je l’ai dit, les rejeter de la liste des vrais marbres et les placer dans celle des pierres mi-parties et composées de substances différentes.

Or, l’on ne doit pas être étonné qu’il se trouve de ces mélanges dans les marbres de seconde formation : à la vérité, ceux qui auront été produit, précisément de la même manière que les albâtres, dans des cavernes uniquement surmontées de pierres calcaires ou de marbres, ne contiendront de même que des substances pierreuses et spathiques, et ne différeront des albâtres qu’en ce qu’ils seront plus denses et plus uniformément remplis de ces mêmes sucs pierreux ; mais ceux qui se seront formés, soit au-dessous des collines d’argile surmontées de rochers calcaires, soit dans des cavités au-dessus desquelles il se trouve des matières mélangées, des marnes, des tuffeaux, des pierres argileuses, des grès ou bien des laves et d’autres matières volcaniques, seront tous également mêlés de ces différentes matières ; car ici la nature passe, non pas par degrés et nuances d’une même matière, mais par doses différentes de mélange, du marbre et de la pierre calcaire la plus pure à la pierre argileuse et au schiste.

Mais, en renvoyant à un article particulier les pierres mi-parties et composées de matière vitreuse et de substance calcaire, nous pouvons joindre aux marbres brèches une grande partie des pierres appelées poudingues, qui sont formées de morceaux arrondis et liés ensemble par un ciment qui, comme dans les marbres brèches, fait le fond de ces sortes de pierres. Lorsque les morceaux arrondis sont de marbre ou de pierre calcaire, et que le ciment est de cette même nature, il n’est pas douteux que ces poudingues entièrement calcaires ne soient des espèces de marbres brèches, car ils n’en diffèrent que par quelques caractères accidentels, comme de ne se trouver qu’en plus petits volumes et en masses assez irrégulières, d’être plus ou moins durs ou susceptibles de poli, d’être moins homogènes dans leur composition, etc., mais, étant au reste formés de même et entièrement composés de matière calcaire, on ne doit pas les séparer des marbres brèches, pourvu toutefois qu’ils aient à un certain degré la qualité qu’on exige de tous les marbres, c’est-à-dire qu’ils soient susceptibles de poli.

Il n’en est pas de même des poudingues, dont les morceaux arrondis sont de la nature du silex ou du caillou, et dont le ciment est en même temps de matière vitreuse, tels que les cailloux de Rennes et d’Angleterre : ces poudingues sont, comme l’on voit, d’un autre genre, et doivent être réunis aux cailloux en petites masses, et souvent ils ne sont que des débris du quartz, du jaspe et du porphyre.

Nous avons dit que toutes les pierres arrondies et roulées par les eaux du Rhône, que M. de Réaumur prenait pour de vrais cailloux, ne sont que des morceaux de pierre calcaire : je m’en suis assuré, non seulement par mes propres observations, mais encore par celles de plusieurs de mes correspondants. M. de Morveau, savant physicien et mon très digne ami, m’écrit, au sujet de ces prétendus cailloux, dans les termes suivants. « J’ai observé, dit-il, que ces cailloux gris noirs, veinés d’un beau blanc, si communs aux bords du Rhône, qu’on a regardés comme de vrais cailloux, ne sont que des pierres calcaires roulées et arrondies par le frottement, qui toutes me paraissent venir de Millery en Suisse, seul endroit que je connaisse où il y ait une carrière analogue ; de sorte que les masses de ces pierres, qui couvrent plus de quarante lieues de pays, sont des preuves non équivoques d’un immense transport par les eaux[1]. » Il est certain que des eaux aussi rapides que celles du Rhône peuvent transporter d’assez grosses masses de pierres à de très grandes distances ; mais l’origine de ces pierres arrondies me paraît bien plus ancienne

  1. Lettre de M. de Morveau à M. de Buffon, datée de Bourg-en-Bresse, le 22 sept. 1778.