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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/19

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vaillée dans tous ses points, et par conséquent dans les trois dimensions à la fois, prend la forme d’un germe organisé[NdÉ 1] qui bientôt deviendra vivant ou végétant par la continuité de son développement et de son extension proportionnelle en longueur, largeur et profondeur. Mais si ces deux forces pénétrantes et productrices, l’attraction et la chaleur, au lieu d’agir sur des substances molles et ductiles, viennent à s’exercer sur des matières sèches et dures qui leur opposent trop de résistance, alors elles ne peuvent agir que sur la surface sans pénétrer l’intérieur de cette matière trop dure ; elles ne pourront donc, malgré toute leur activité, la travailler que dans deux dimensions au lieu de trois, en traçant à sa superficie quelques linéaments ; et cette matière n’étant travaillée qu’à la surface ne pourra prendre d’autre forme que celle d’un minéral figuré. La nature opère ici comme l’art de l’homme : il ne peut que tracer des figures et former des surfaces, mais dans ce genre même de travail, le seul où nous puissions l’imiter, elle nous est encore si supérieure qu’aucun de nos ouvrages ne peut approcher des siens.

Le germe de l’animal ou du végétal étant formé par la réunion des molécules organiques avec une petite portion de matière ductile, ce moule intérieur, une fois donné et bientôt développé par la nutrition, suffit pour communiquer son empreinte, et rendre sa même forme à perpétuité par toutes les voies de la reproduction et de la génération, au lieu que, dans le minéral, il n’y a point de germe, point de moule intérieur capable de se développer par la nutrition, ni de transmettre sa forme par la reproduction[NdÉ 2].

  1. La façon dont Buffon explique la formation des organismes vivants est aussi simple que possible ; la chaleur et l’attraction, en agissant sur la matière ductile, « la pénètrent et la travaillent dans les trois dimensions », c’est-à-dire en longueur, en largeur et en profondeur et lui font prendre ainsi « la forme d’un germe organisé » qui n’aura plus qu’à se développer dans les trois dimensions pour devenir un animal ou un végétal. Buffon se montre ainsi nettement partisan de la génération spontanée. Il admet la transformation de certaines portions de la « matière brute », d’abord en « molécules organiques », puis le mélange des molécules organiques avec la matière brute, donnant naissance à la « matière ductile », et enfin la matière ductile elle-même se transformant en « germes organisés » sous la seule action de la chaleur et de l’attraction, c’est-à-dire de forces universellement répandues dans la nature. Enfin, le genre lui-même n’a qu’à se développer par la nutrition pour devenir un animal ou un végétal. Cette manière d’expliquer la formation des êtres vivants indique un esprit assez hardi pour rompre avec les préjugés de son temps, mais elle est erronée, surtout dans la partie relative aux molécules organiques dont aucun fait ne démontre l’existence. (Voyez mon Introduction.)

    [Note de Wikisource : Rappelons en effet que, dès 1765, Spallanzani, dans son Essai d’observations microscopiques concernant le système de la génération de MM. Needham et de Buffon, mit à bas la doctrine de la génération spontanée, définitivement décréditée par la célèbre expérience du ballon à col-de-cygne de Pasteur ; que les corps organiques sont constituées des mêmes atomes que les corps inorganiques, avec une prédominance particulière des atomes de carbones, d’hydrogène, d’oxygène et d’azote, tous éléments très répandus dans les roches brutes ; enfin, que les travaux de Spallanzani d’abord, puis de Lavoisier surtout, montrèrent que les phénomènes organiques tels que la digestion ou la respiration sont des réactions chimiques identiques à celles étudiées par la chimie inorganique. Tous ces faits emportent la théorie des molécules organiques de Buffon ; quant à la parenté perçue par Buffon entre la formation des organismes et celle des cristaux et autres minéraux organisés, et qu’il explique par l’action inégalement achevée de ces molécules organiques, il ne s’agit que d’une vue de l’esprit (voyez la note suivante).]

  2. Le sens du terme « moule intérieur », que les commentateurs de Buffon ont beaucoup raillé, parce que peut-être ils ne l’avaient pas compris, est ici bien clair ; il est manifeste qu’il indique la « forme » de l’espèce animale ou végétale, l’ensemble des caractères qui se transmettent par la reproduction et qui se développent en même temps que l’animal ou le végétal, grâce à la nutrition. Mais Buffon est dans l’erreur quand il refuse ce « moule intérieur » aux corps non vivants, aux minéraux. Chaque espèce de minéral présente, en effet, comme les espèces animales et végétales, un ensemble de caractères morphologiques, chimiques, physiques, etc., absolument constants. Ainsi, le sel marin cristallise toujours en