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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/71

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moins rapprochés, et quelquefois liés par un ciment de même nature qui en remplit les interstices[1]. Ce ciment a pu être porté dans le grès de deux manières différentes ; la première par les vapeurs qui s’élèvent de l’intérieur de la terre, et la seconde par la stillation des eaux : ces deux causes produisent des effets si semblables qu’il est assez difficile de les distinguer. Nous allons rapporter à ce sujet les observations faites récemment par un de nos plus savants académiciens, M. de Lassone, qui a examiné avec attention la plupart des grès de Fontainebleau, et qui s’exprime dans les termes suivants :

« Sur les parois extérieures et découvertes de plusieurs blocs de grès le plus compact, et presque toujours sur les surfaces de ceux dont on a enlevé de grandes et larges pièces en les exploitant, j’ai observé un enduit vitreux très dur ; c’est une lame de deux ou trois lignes d’épaisseur, comme une espèce de couverte, naturellement appliquée, intimement inhérente, faisant corps avec le reste de la masse, et formée par une matière atténuée et subtile, qui en se condensant a pris le caractère pierreux le plus décidé, une consistance semblable à celle du silex, et presque à celle de l’agate ; cet enduit vitreux n’est pas bien longtemps à se démontrer sur les endroits qu’il revêt. Je l’ai vu établi au bout d’un an sur les surfaces de certains blocs entamés l’année précédente : on découvre et on distingue les nuances et la progression de cette nouvelle formation, et, ce qui est bien remarquable, cette substance vitrée ne paraît et ne se trouve que sur les faces entamées des blocs, encore engagés par leur base dans la minière sableuse qui doit être regardée comme leur matrice et le vrai lieu de leur génération[2]. »

Cette observation établit, comme l’on voit, l’existence réelle d’un ciment pierreux, qui même forme en s’accumulant un émail silicé d’une épaisseur considérable ; mais je dois remarquer que cet émail se produit non seulement sur les blocs encore attachés ou enfouis par leur base, comme le dit M. de Lassone, mais même sur ceux qui en sont séparés ; car on m’a fait voir nouvellement quelques morceaux de grès qui étaient revêtus de cet émail sur toutes leurs faces : voilà donc le climat quartzeux ou silicé clairement démontré, soit qu’il ait transsudé de l’intérieur de la pierre, soit que l’eau ou les vapeurs aient étendu cette couche à la superficie de ces morceaux de grès. On en a des exemples tout aussi frappants sur le quartz, dans lequel il se forme de même une matière silicée par la stillation des eaux et par la condensation des vapeurs[3].

  1. Par ces mots de ciment ou gluten, je n’entends pas, comme l’on fait ordinairement, une matière qui a la propriété particulière de réunir des substances dissemblables et pour ainsi dire d’une autre nature, en faisant un seul volume de plusieurs corps isolés ou séparés, comme la colle qui s’emploie pour le bois, le mortier pour la pierre, etc. : l’habitude de cette acception du mot ciment pourrait en imposer ici. Je dois donc avertir que je prends ce mot dans un sens plus général, qui ne suppose ni une matière différente de celle de la masse, ni une force attractive particulière, ni même la séparation absolue des parties avant l’interposition du ciment, mais qui consiste dans leur union encore plus intime, par l’accession de molécules de même nature, qui augmentent la densité de la masse, en sorte que la seule condition essentielle qui fera distinguer ce ciment des matières sera le plus souvent la différence des temps où ce ciment y sera survenu, et où elles auront acquis par là leur plus grande solidité.
  2. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1774, p. 207 et suiv.
  3. M. de Gensane, savant physicien et minéralogiste très expérimenté, que j’ai eu souvent occasion de citer avec éloge, a fait des observations que j’ai déjà indiquées, et qui me paraissent ne laisser aucun doute sur cette formation de la matière silicée ou quartzeuse, par la seule condensation des vapeurs de la terre. « Étant descendu, dit-il, dans une galerie de mine (de plomb) de Pont-Pean, près de Rennes en Bretagne, dont les travaux étaient abandonnés, je vis au fond de cette galerie toutes les inégalités du roc presque remplies d’une matière très blanche, semblable à de la céruse délayée, que je reconnus être un véritable guhr ou sinter… C’est une vapeur condensée qui, en se cristallisant, donne un