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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/163

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cosmique, et dont M. Bergman a cru devoir faire usage dans presque toutes ses analyses chimiques : ce sel est en même temps ammoniacal et phosphorique, et lorsque l’acide du phosphore se trouve combiné avec une substance calcaire, comme dans les os des animaux, il semble que les propriétés salines disparaissent ; car ce sel phosphorique à base calcaire n’a plus aucune saveur sensible : la substance calcaire des os fait sur l’acide phosphorique le même effet que la craie sur l’acide vitriolique ; cet acide animal, et l’acide végétal acéteux ou tartareux, contiennent sensiblement beaucoup de cet air fixe ou acide aérien, duquel il tire leur origine.




SEL MARIN ET SEL GEMME

L’eau de la mer contient une grande quantité d’acide et d’alcali, puisque le sel qu’on en retire en la faisant évaporer est composé des deux ; elle est aussi imprégnée de bitume, et c’est ce qui fait qu’elle est en même temps saline et amère ; or, le bitume est composé d’acide et d’huile, et d’ailleurs la décomposition de tous les corps organisés dont la mer est peuplée produit une immense quantité d’huile : l’eau marine contient donc non seulement les acides et les alcalis, mais encore les huiles et toutes les matières qui peuvent provenir de la décomposition des corps, à l’exception de celles que ces substances prennent par la putréfaction à l’air libre ; encore se forme-t-il à la surface de la mer, par l’action de l’acide aérien, des matières assez semblables à celles qui sont produites sur la terre par la décomposition des animaux et des végétaux.

La formation du sel marin n’a pu s’opérer qu’après la production de l’acide et de l’alcali, puisqu’ils en sont les substances constituantes ; l’acide aérien a été formé dès les premiers temps, après l’établissement de l’atmosphère, par le simple mélange de l’air et du feu ; mais l’alcali n’a été produit que dans un temps subséquent par la décomposition des corps organisés. L’eau de la mer n’était d’abord que simplement acide ou même acidule, elle est devenue plus acide et plus salée par l’union de l’acide primitif avec les alcalis et les autres acides ; ensuite elle a pris de l’amertume par le mélange du bitume, et enfin elle s’est chargée de graisse et d’huile par la décomposition des corps de tous les cétacés, poissons et amphibies dont la substance est, comme l’on sait, plus huileuse que celle des animaux terrestres.

Et cette salure, cette amertume et cette huile de l’eau de la mer n’ont pu qu’augmenter avec le temps, parce que tous les fleuves qui arrivent à ce grand réceptacle des eaux sont eux-mêmes chargés de parties salines, bitumineuses et huileuses que la terre leur fournit, et que toutes ces matières étant plus fixes et moins volatiles que l’eau, l’évaporation ne les enlève pas ; leur quantité ne peut donc qu’augmenter, tandis que celle de l’eau reste toujours la même, puisque les eaux courantes sur la terre ramènent à la mer tout ce que les vapeurs poussées par les vents lui enlèvent.

On doit encore ajouter à ces causes de l’augmentation de la salure des mers la quantité considérable de sel que les eaux qui filtrent dans l’intérieur de la terre dissolvent et détachent des masses purement salines qui se trouvent en plusieurs lieux, et jusqu’à d’assez grandes profondeurs ; on a donné le nom de sel gemme à ce sel fossile : il est absolument de la même nature que celui qui se tire de l’eau de la mer par l’évaporation ; il se trouve sous une forme solide, concrète et cristallisée, en amas immenses, dans plusieurs régions du globe, et notamment en Pologne[1], en

  1. Les mines de sel de Wieliczka, dit M. Guettard, sont sans contredit un des beaux ouvrages de la nature : on ne peut voir qu’avec une espèce d’admiration ces masses énormes de sel renfermées dans le sein de la terre…