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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/236

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vu clairement que, si la capacité du creuset, qui s’était fort augmentée par un feu de six mois, eût été plus grande, j’aurais pu y amasser encore autant de milliers de matière en fusion, qui n’aurait rien souffert en la laissant toujours surmontée du laitier nécessaire pour la défendre de la trop grande action du feu et du contact de l’air. Cette fonte, au contraire, tenue pendant quarante-huit heures dans le creuset, n’en était que meilleure et plus épurée ; elle pesait cinq cent douze livres le pied cube, tandis que les fontes grises ordinaires qu’on travaillait alors à mes forges ne pesaient que quatre cent quatre-vingt-quinze livres, et que les fontes blanches ne pesaient que quatre cent soixante-douze livres le pied cube[1]. Il peut donc y avoir une différence de plus de trente-cinq livres par pied cube, c’est-à-dire d’un douzième environ sur la pesanteur spécifique de la fonte de fer ; et, comme sa résistance est tout au moins proportionnelle à sa densité, il s’ensuit que les pièces de canon de cette fonte dense résisteront à la charge de douze livres de poudre, tandis que celles de fonte blanche et légère éclateront par l’effort d’une charge de dix à onze livres : il en est de même de la pureté de la fonte, elle est, comme sa résistance, plus que proportionnelle à sa densité ; car, ayant comparé le produit en fer de ces fontes, j’ai vu qu’il fallait quinze cent cinquante des premières, et seulement treize cent vingt de la fonte épurée qui pesait cinq cent douze livres le pied cube pour faire un millier de fer.

Quelque grande que soit cette différence, je suis persuadé qu’elle pourrait l’être encore

    pour les forer ensuite ; l’avantage, en les coulant pleines, est d’éviter les chambres qui se forment dans tous les canons coulés à noyaux. L’avantage de les tourner consiste en ce qu’elles seront parfaitement centrées et d’une épaisseur égale dans toutes les parties correspondantes : le seul inconvénient du tour est que les pièces sont plus sujettes à la rouille que celles dont on n’a pas entamé la surface.

    » La plus grande difficulté est d’empêcher le canon de s’arquer dans le moule ; or, le tour remédie à ce défaut et à tous ceux qui proviennent des petites imperfections du moule.

    » La première couche qui se durcit dans la fonte d’un canon est la plus extérieure ; l’humidité et la fraîcheur du moule lui donnent une trempe qui pénètre à une ligne ou une ligne et demie dans les pièces de gros calibre, et davantage dans ceux de petit calibre, parce que leur surface est proportionnellement plus grande relativement à leur masse : or, cette enveloppe trempée est plus cassante, quoique, plus dure que le reste de la matière, elle ne lui est pas aussi intimement unie, et semble faire un cercle concentrique assez distinct du reste de la pièce ; elle ne doit donc pas augmenter la résistance de la pièce. Mais si l’on craint encore de diminuer la résistance du canon, en enlevant l’écorce par le tour, il n’y aura qu’à compenser cette diminution, en donnant deux ou trois lignes de plus d’épaisseur au canon.

    » On a observé que la matière est meilleure dans la culasse des pièces que dans les volées, et cette matière de la culasse est celle qui a coulé la première et qui est sortie du fond du creuset, et qui par conséquent a été tenue le plus longtemps en fusion ; au contraire, la masselotte du canon, qui est la matière qui coule la dernière, est d’une mauvaise qualité et remplie de scories.

    » On doit observer que, si l’on veut fondre du canon de vingt-quatre à un seul fourneau, il serait mieux de commencer par ne donner au creuset que les dimensions nécessaires pour couler du dix-huit, et laisser agrandir le creuset par l’action du feu ; avant de couler du vingt-quatre, et par la même raison on fera l’ouvrage pour couler du vingt-quatre, qu’on laissera ensuite agrandir pour couler du trente-six. » (Mémoire envoyé par M. le vicomte de Morogues à M. de Buffon ; Versailles, le 1er février 1769).

  1. J’ai fait ces épreuves à une très bonne et grande balance hydrostatique, sur des morceaux cubiques de fonte de quatre pouces, c’est-à-dire de soixante-quatre pouces cubes, tous également tirés du milieu des gueuses, et ensuite ajustés par la lime à ces dimensions. M. Brisson, dans sa Table des pesanteurs spécifiques, donne cinq cent quatre livres sept onces six gros de poids à un pied cube de fonte ; cinq cent quarante-cinq livres deux onces quatre gros au fer forgé, et cinq cent quarante-sept livres quatre onces à l’acier.