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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/237

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plus, et qu’avec un fourneau construit exprès pour couler du gros canon, dans lequel on ne verserait que de la mine bien préparée et à laquelle on donnerait en effet quarante huit heures de séjour dans le creuset avec un feu toujours égal, on obtiendrait de la fonte encore plus dense, plus résistante, et qu’on pourrait parvenir au point de la rendre assez métallique pour que les pièces, au lieu de crever en éclats, ne fissent que se fendre, comme les canons de bronze, par une trop forte charge.

Car la fonte n’est dans le vrai qu’une matte de fer plus ou moins mélangée de matières vitreuses ; il ne s’agirait donc que de purger cette matte de toutes parties hétérogènes, et l’on aurait du fer pur ; mais, comme cette séparation des parties hétérogènes, ne peut se faire complètement par le feu du fourneau, et qu’elle exige de plus le travail de l’homme et la percussion du marteau, tout ce que l’on peut obtenir par le régime du feu le mieux conduit, le plus longtemps soutenu, est une fonte en régule encore plus épurée que celle dont je viens de parler : il faut pour cela briser en morceaux cette première fonte et la faire refondre ; le produit de cette seconde fusion sera du régule, qui est une matière mitoyenne entre la fonte et le fer : ce régule approche de l’état de métallisation, il est un peu ductile, ou du moins il n’est ni cassant, ni aigre, ni poreux, comme la fonte ordinaire ; il est au contraire très dense, très compact, très résistant, et par conséquent très propre à faire de bons canons.

C’est aussi le parti que l’on vient de prendre pour les canons de notre marine ; on casse en morceaux les vieux canons ou les gueuses de fonte, on les refond dans des fourneaux d’aspiration à réverbère : la fonte s’épure et se convertit en régule par cette seconde fusion ; on a confié la direction de ce travail à M. Wilkinson, habile artiste anglais, qui a très bien réussi. Quelques autres artistes français ont suivi la même méthode avec succès, et je suis persuadé qu’on aura dorénavant d’excellents canons, pourvu qu’on ne s’obstine pas à les tourner ; car je ne puis être ici de l’avis de M. le vicomte de Morogues[1], dont néanmoins je respecte les lumières, et pense qu’en enlevant par le tour l’écorce du canon on lui ôte sa cuirasse, c’est-à-dire la partie la plus dure et la plus résistante de toute sa masse[2].

  1. Voyez la note précédente.
  2. Voici ce que m’a écrit à ce sujet M. de la Belouze, conseiller au parlement de Paris, qui a fait des expériences et des travaux très utiles dans ses forges du Nivernais : « Vous regardez, monsieur, comme fait certain que la fonte la plus dense est la meilleure pour faire des canons ; j’ai hésité longtemps sur cette vérité, et j’avais pensé d’abord que la fonte première, comme étant plus légère et conséquemment plus élastique, cédant plus facilement à l’impulsion de la pondre, devrait être moins sujette à casser que la fonte seconde, c’est-à-dire la fonte refondue, qui est beaucoup plus pesante.

    » Je n’ai décidé le sieur Frerot à les faire de fonte refondue que parce qu’en Angleterre on ne les fait que de cette façon ; cependant, en France, on ne les fond que de fonte première… La fonte refondue est beaucoup plus pesante, car elle pèse cinq cent vingt à cinq cent trente livres, au lieu que l’autre ne pèse que cinq cents livres le pied cube…

    » Vous avez grande raison, monsieur, de dire qu’il ne faut pas tourner les canons… La partie extérieure des canons, c’est-à-dire l’enveloppe, est toujours la plus dure, et ne se fond jamais au fourneau de réverbère, et, sans le ringard, on retirerait presque les pièces figurées comme elles étaient lorsqu’on les a mises au fourneau. Cette enveloppe se convertit presque toute en fer à l’affinerie, car, avec onze cent cinquante livres de fonte, on fait un millier de très bon fer,… tandis qu’il faut quatorze cents ou quinze cents livres de notre fonte première pour avoir un millier de fer…

    » Vous désireriez, monsieur, qu’on pût couler les canons avec la fonte d’un seul fourneau ; mais le poids en est trop considérable, et je ne crois pas que le sieur Wilkinson les coule à Indret avec le jet d’un seul fourneau, surtout pour les canons de vingt-quatre. Le sieur Frerot ne coule que des canons de dix-huit avec le jet de deux fourneaux de pareille