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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/430

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Mais cet alliage où le fer nous est démontré par l’action de l’aimant étant d’une densité approchante de celle de l’or, j’ai cru être fondé à présumer que le platine n’est qu’un mélange accidentel de ces deux métaux très intimement unis : les essais qu’on a faits depuis ce temps pour tâcher de séparer le fer du platine et de détruire son magnétisme ne m’ont pas fait changer d’opinion ; le platine le plus pur, celui entre autres qui a été si bien travaillé par M. le baron de Sickengen[1] et qui ne donne aucun signe de magnétisme, devient néanmoins attirable à l’aimant, dès qu’il est comminué et réduit en très petites parties ; la présence du fer est donc constante dans ce minéral, et la présence d’une matière aussi dense que l’or y est également et évidemment aussi constante ; et quelle peut être cette matière dense, si ce n’est pas de l’or ? Il est vrai que, jusqu’ici, l’on n’a pu tirer du platine, par aucun moyen, l’or, ni même le fer qu’il contient, et que, pour qu’il y eût sur l’essence de ce minéral démonstration complète, il faudrait en avoir tiré et séparé le fer et l’or, comme on sépare ces métaux après les avoir alliés ; mais ne devons-nous pas considérer, et ne l’ai-je pas dit, que le fer n’étant point ici dans son état ordinaire, et ne s’étant uni à l’or qu’après avoir perdu presque toutes ses propriétés, à l’exception de sa densité et de son magnétisme, il se pourrait que l’or s’y trouvât de même dénué de sa ductilité, et qu’il n’eût conservé comme le fer que sa seule densité, et dès lors ces deux métaux qui composent le platine sont tous deux dans un état inaccessible à notre art, qui ne peut agir sur eux, ni même nous les faire reconnaître en nous les présentant dans leur état ordinaire ? Et n’est-ce pas par cette raison que nous ne pouvons tirer ni le fer ni l’or du platine, ni par conséquent séparer ces métaux, quoiqu’il soit composé de tous deux ? Le fer, en effet, n’y est pas dans son état ordinaire, mais tel qu’on le voit dans le sablon ferrugineux qui accompagne toujours le platine. Ce sablon, quoique très magnétique, est infusible, inattaquable à la rouille, insoluble dans les acides ; il a perdu toutes les propriétés par lesquelles nous pouvions l’attaquer, il ne lui est resté que sa densité et son magnétisme, propriétés par lesquelles nous ne pouvons néanmoins le méconnaître. Pourquoi l’or, que nous ne pouvons de même tirer du platine, mais que nous y reconnaissons aussi évidemment par sa densité, n’aurait-il pas éprouvé, comme le fer, un changement qui lui aurait ôté sa ductilité et sa fusibilité ? L’un est possible comme l’autre, et ces productions d’accidents, quoique rares, ne peuvent-elles pas se trouver dans la nature ? Le fer, en état de parfaite ductilité, est presque infusible, et ce pourrait être cette propriété du fer qui rend l’or dans le platine très réfractaire ; nous pouvons aussi légitimement supposer que le feu violent d’un volcan, ayant converti une mine de fer en mâchefer et en sablon ferrugineux magnétique, et tel qu’il se trouve avec le platine, ce feu aura en même temps, et par le même excès de force, détruit dans l’or toute ductilité ? Car cette qualité n’est pas essentielle, ni même inhérente à ce métal, puisque la plus petite quantité d’étain ou d’arsenic la lui enlève ; et d’ailleurs sait-on ce que pourrait produire sur ce métal un feu plus violent qu’aucun de nos feux connus ? Pouvons-nous dire si dans ce feu de volcan, qui n’a laissé au fer que son magnétisme et à l’or sa densité, il n’y aura pas eu des fumées arsenicales qui auront blanchi l’or et lui auront ôté toute sa ductilité, et si cet alliage du fer et de l’or, imbus de la vapeur d’arsenic, ne s’est pas fait par un

  1. Le platine, même le plus épuré, contient toujours du fer. M. le comte de Milly, par une lettre datée du 18 novembre 1781, me marque « qu’ayant oublié pendant trois ou quatre ans un morceau de platine purifié par M. le baron de Sickengen, et qu’il avait laissé dans de l’eau-forte la plus pure pendant tout ce temps, il s’y était rouillé, et que, l’ayant retiré, il avait étendu la liqueur qui restait dans le vase dans un pot d’eau distillée, et qu’y ayant ajouté de l’alcali phlogistiqué, il avait obtenu sur-le-champ un précipité très abondant, ce qui prouve indubitablement que le platine le plus pur, et que M. Sicfiengen assure être dépouillé de tout fer, en contient encore, et que par conséquent le fer entre dans sa composition. »