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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/429

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avaient, avant les Espagnols, fait des haches et autres instruments tranchants[1], ce qui suppose nécessairement qu’ils la trouvaient en grandes masses ou qu’ils avaient l’art de la fondre, sans doute avec l’addition de quelque autre métal ; car, par lui-même, le platine est encore moins fusible que la mine de fer, qu’ils n’avaient pas pu fondre. Les Espagnols ont aussi fait différents petits ouvrages avec le platine allié avec d’autres métaux : personne, en Europe, ne le connaît donc dans son état de nature, et j’ai attendu vainement, pendant nombre d’années, quelques morceaux de platine en masse que j’avais demandés à tous mes correspondants en Amérique. M. Bowles, auquel le gouvernement d’Espagne paraît avoir donné sa confiance au sujet de ce minéral, n’en a pas abusé, car tout ce qu’il en dit ne nous apprend que ce que nous savions déjà.

Nous ne savons donc rien, ou du moins rien au juste, de ce que l’histoire naturelle pourrait nous apprendre au sujet du platine, sinon qu’il se trouve en deux endroits de l’Amérique méridionale, dans des mines d’or, et jusqu’ici nulle part ailleurs. Ce seul fait, quoique dénué de toutes ses circonstances, suffit, à mon avis, pour démontrer que le platine est une matière accidentelle plutôt que naturelle ; car toute substance produite par les voies ordinaires de la nature est généralement répandue, au moins dans les climats qui jouissent de la même température : les animaux, les végétaux, les minéraux sont également soumis à cette règle universelle. Cette seule considération aurait dû suspendre l’empressement des chimistes qui, sur le simple examen de cette grenaille, peut-être artificielle et certainement accidentelle, n’ont pas hésité d’en faire un nouveau métal[NdÉ 1], et de placer cette matière nouvelle non seulement au rang des anciens métaux, mais de la vanter comme un troisième métal aussi parfait que l’or et l’argent, sans faire réflexion que les métaux se trouvent répandus dans toutes les parties du globe ; que le platine, si c’était un métal, serait répandu de même ; que dès lors on ne devait la regarder que comme une production accidentelle, entièrement dépendante des circonstances locales des deux endroits où il se trouve.

Cette considération, quoique majeure, n’est pas la seule qui me fasse nier que le platine soit un vrai métal. J’ai démontré, par des observations exactes[2], qu’il est toujours attirable à l’aimant ; la chimie a fait de vains efforts pour en séparer le fer, dont sa substance est intimement pénétrée ; le platine n’est donc pas un métal simple et parfait, comme l’or et l’argent, puisqu’il est toujours allié de fer. De plus, tous les métaux, et surtout ceux qu’on appelle parfaits, sont très ductiles ; tous les alliages, au contraire, sont aigres : or le platine est plus aigre que la plupart des alliages, et, même après plusieurs fontes et dissolutions, il n’acquiert jamais autant de ductilité que le zinc ou le bismuth, qui cependant ne sont que des demi-métaux, tous plus aigres que les métaux.

  1. Dans le gouvernement du Marannon, les habitants assuraient que, dans le canton des mines d’or, ils tiraient souvent d’un lieu nommé Picari une autre sorte de métal plus dur que l’or, mais blanc, dont ils avaient fait anciennement des haches et des couteaux, et que ces outils s’émoussant facilement, ils avaient cessé d’en faire. Histoire générale des voyages, t. XIV, p. 20. — M. Ulloa, dans son Voyage imprimé à Madrid en 1748, dit expressément qu’au Pérou, dans le bailliage de Choco, il se trouve des mines d’or que l’on a été obligé d’abandonner à cause du platine dont le minerai est entremêlé ; que ce platine est une pierre (piedra) si dure, qu’on ne peut la briser sur l’enclume, ni la calciner, ni par conséquent en tirer le minerai qu’elle renferme, sans un travail infini.
  2. Voyez le Mémoire qui a pour titre : Observations sur le platine.
  1. Le platine est réellement un métal au même titre que l’or et l’argent. Il n’est pas le moins du monde, comme le dit plus loin Buffon, composé de fer et d’or, mais mérite autant que ces divers métaux de figurer parmi les types que l’on désigne sous le nom de « corps simples ».