Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/607

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taux et les commerçants d’Europe ont établi en plusieurs endroits de l’Inde des troupes de pêcheurs, ou, pour mieux dire, de petites compagnies de plongeurs qui, chargés d’une grosse pierre, se laissent aller au fond de la mer pour en détacher les coquillages au hasard et les rapporter à ceux qui les payent assez pour leur faire courir le risque de leur vie[1]. Les perles que l’on tire des mers chaudes de l’Asie méridionale sont les plus

    la terre ferme par une chaîne de rochers que quelques Européens appellent le Pont-d’Adam. Toute la côte de la Pêcherie, qui appartient au roi de Maduré et au prince de Marava, est inabordable aux vaisseaux d’Europe.

    La Compagnie de Hollande ne fait pas pêcher les perles pour son compte, mais elle permet à chaque habitant du pays d’avoir autant de bateaux que bon lui semble : chaque bateau lui paye soixante écus, et il s’en présente quelquefois jusqu’à six ou sept cents.

    Vers le commencement de l’année, la Compagnie envoie dix ou douze bateaux au lieu où l’on a dessein de pêcher. Les plongeurs apportent sur le rivage quelques milliers d’huîtres ; on ouvre chaque millier à part, et on met aussi à part les perles qu’on en tire ; si le prix de ce qui se trouve dans un millier monte à un écu ou au delà, c’est une marque que la pêche sera riche et abondante en ce lieu, mais si ce qu’on peut tirer d’un millier ne va qu’à trente sous, il n’y a pas de pêche cette année, parce que le profit ne payerait pas la peine. Lorsque la pêche est publiée, le peuple se rend sur la côte en grand nombre avec des bateaux. Les commissaires hollandais viennent de Colombo, capitale de l’île de Ceylan, pour présider à la pêche.

    L’ouverture s’en fait de grand matin par un coup de canon. Dans ce moment, tous les bateaux partent et s’avancent dans la mer, précédés de deux grosses chaloupes hollandaises, pour marquer à droite et à gauche les limites de la pêche. Un bateau a plusieurs plongeurs qui vont à l’eau tour à tour ; aussitôt que l’un vient, l’autre s’enfonce. Ils sont attachés à une corde dont le bout tient à la vergue du petit bâtiment, et qui est tellement disposée, que les matelots du bateau, par le moyen d’une poulie, la peuvent aisément lâcher ou tirer, selon le besoin qu’on en a. Celui qui plonge a une grosse pierre attachée au pied afin d’enfoncer plus vite, et une espèce de sac à la ceinture pour mettre les huîtres qu’il pêche. Dès qu’il est au fond de la mer, il ramasse promptement ce qui trouve sous ses mains et le met dans son sac. Quand il trouve plus d’huîtres qu’il n’en peut emporter, il en fait un monceau, et, revenant sur l’eau pour prendre haleine, il retourne ou envoie un de ses compagnons les ramasser. Il est faux que ces plongeurs se mettent dans des cloches de verre pour plonger : comme ils s’accoutument à plonger et à retenir leur haleine de bonne heure, ils se rendent habiles à ce métier qui est si fatigant qu’ils ne peuvent plonger que sept ou huit fois par jour, encore les requins sont-ils fort à craindre. Bibliothèque raisonnée, mois d’avril, mai et juin 1749. Recueil d’observations curieuses sur les mœurs, coutumes, etc., des différents peuples de l’Asie, etc. ; Paris, en 4 volumes, 1749.

  1. Les principales pêcheries des perles sont : 1o celle de Bahren dans le golfe Persique ; elle appartient au roi de Perse, qui entretient dans l’île de ce nom une garnison de trois cents hommes pour le soutien de ses droits ; 2o celle de Catifa, vis-à-vis de Bahren, sur la côte de l’Arabie Heureuse. La plupart des perles de ces deux endroits se vendent aux Indes, et les Indiens étant moins difficiles qu’on ne l’est en Europe, tout y passe aisément. — On en porte aussi à Bassora. Celles qui vont en Perse et en Moscovie se vendent à Bender-Abassi. Dans toute l’Asie, on aime autant les perles jaunes que les blanches, parce que l’on croit que celles dont l’eau est un peu dorée conservent toujours leur vivacité, au lieu que les blanches ne durent pas trente ans sans la perdre, et que la chaleur du pays ou la sueur de ceux qui les portent leur fait prendre un vilain jaune ; 3o la pêcherie de Manor, dans l’île de Ceylan ; ses perles sont les plus belles qu’on connaisse pour l’eau et la rondeur, mais il est rare qu’elles passent trois ou quatre carats ; 4o celle du cap de Camorin, qui se nomme simplement pêcherie, comme par excellence, quoique moins célèbre aujourd’hui que celles du golfe Persique et de Ceylan ; 5o enfin celles du Japon, qui donnent des perles assez grosses et de fort belle eau, mais ordinairement baroques.

    Ceux qui pourraient s’étonner de ce qu’on porte des perles en Orient, d’où il en vient un si grand nombre, doivent apprendre que, dans les pêcheries d’Orient, il ne s’en trouve