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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 1.djvu/134

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Un aimant artificiel et homogène, tel qu’un barreau d’acier fortement aimanté, exerce sa force attractive dans tous les points de sa surface, mais fort inégalement, car, si l’on projette de la limaille de fer sur cet aimant, il n’y aura presque aucun point de sa superficie qui ne retienne quelques particules de cette limaille, surtout si elle est réduite en poudre très fine ; les pôles et les angles de ce barreau seront les parties qui s’en chargeront le plus, et les faces n’en retiendront qu’une bien moindre quantité ; la position des particules de limaille sera aussi fort différente ; on les verra perpendiculaires sur les parties polaires de l’aimant, et elles seront inclinées plus ou moins vers ces mêmes pôles, dans toutes les autres parties de sa surface.

Rien n’arrête la vertu magnétique : un aimant placé dans l’air ou dans le vide, plongé dans l’eau, dans l’huile, dans le mercure ou dans tout autre fluide, agit toujours également ; renfermé dans une boîte de bois, de pierre, de plomb, de cuivre ou de tout autre métal, à l’exception du fer, son action est encore la même ; l’interposition des corps les plus solides[1] ne lui porte aucune atteinte et ne fait pas obstacle à la transmission de sa force ; elle n’est affaiblie que par le fer interposé qui, acquérant par cette position la vertu magnétique, peut contre-balancer ou détruire celle qui existait déjà, suivant que les directions de ces deux forces particulières coïncident ou divergent.

Mais, quoique les corps interposés ne diminuent pas l’étendue de la sphère active de l’aimant sur le fer, ils ne laissent pas de diminuer beaucoup l’intensité de la force attractive lorsqu’ils empêchent leur contact. Si l’on interpose entre le fer qu’on veut unir à l’aimant un corps aussi mince que l’on voudra, seulement une feuille de papier, l’aimant ne pourra soutenir qu’une très petite masse de fer, en comparaison de celle qu’il aurait soutenue si le fer lui avait été immédiatement appliqué : cette différence d’effet provient de ce que l’intensité de la force est, sans comparaison, beaucoup plus grande au point de contact, et qu’en mettant obstacle à l’union immédiate du fer avec l’aimant par un corps intermédiaire, on lui ôte la plus grande partie de sa force en ne lui laissant que celle qu’il exercerait au delà de son point de contact. Mais cet effet, qui est si sensible à ce point, devient nul ou du moins insensible à toute autre distance, car les corps interposés à un pied, à un pouce, et même à une ligne de l’aimant, ne paraissent faire aucun obstacle à l’exercice de son attraction.

Le fer réduit en rouille cesse d’être attirable à l’aimant ; la rouille est une dissolution du fer par l’humidité de l’air, ou, pour mieux dire, par l’action de l’acide aérien, qui, comme nous l’avons dit, a produit tous les autres acides : aussi agissent-ils tous sur le fer, et à peu près de la même manière, car tous le dissolvent, lui ôtent la propriété d’être attiré par l’aimant ; mais il reprend cette même propriété lorsqu’on fait exhaler ces acides par le moyen du feu. Cette propriété n’est donc pas détruite en entier dans la rouille et dans les autres dissolutions du fer[2], puisqu’elle se rétablit dès que le dissolvant en est séparé.

L’action du feu produit dans le fer un effet tout contraire à celui de l’impression des acides ou de l’humidité de l’air ; le feu le rend d’autant plus attirable à l’aimant, qu’il a

  1. Un bloc de plomb d’un pied d’épaisseur, interposé entre l’aimant et le fer, n’en diminue pas la force attractive. Musschenbroëck, p. 59.
  2. En faisant dissoudre la limaille de fer dans les acides vitrioliques ou nitreux, elle cesse d’être attirable à l’aimant ; cependant on ne peut pas dire qu’elle perd entièrement la vertu magnétique ; il en est de même du vitriol de fer, dont l’attraction est à la vérité très petite, mais non pas nulle, comme le dit Lémery. (Mémoires de l’Académie des sciences, année 1706.) Il faut, pour s’en apercevoir, le présenter à une très longue aiguille aimantée ; la dissolution, séparant les parties du fer, fait le même effet que le mouvement de secousse qu’on donne à la limaille en disposant ses parties en différents sens, et c’est ce qui détruit la vertu magnétique. Musschenbroëck, p. 125.