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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 1.djvu/88

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Les eaux, en tombant de l’atmosphère sur la surface du globe en incandescence, furent d’abord rejetées en vapeurs, et ne purent s’y établir que lorsqu’il fut attiédi ; elles firent, dès ces premiers temps, de fortes impressions sur les matières vitrifiées qui composaient la masse entière du globe ; elles produisirent des fentes et des fêlures dans le quartz ; elles le divisèrent, ainsi que les autres matières vitreuses, en fragments plus ou moins gros, en paillettes et en poudre qui, par leur agrégation, formèrent ensuite les grès, les talcs, les serpentines et autres matières dans lesquelles on reconnaît encore la substance des verres primitifs plus ou moins altérée. Ensuite, par une action plus longue, les éléments humides ont converti toutes ces poudres vitreuses en argile et en glaise, qui ne diffèrent des grès et des premiers débris des verres primitifs que par l’atténuation de leurs parties constituantes, devenues plus molles et plus ductiles par l’action constante de l’eau qui a, pour ainsi dire, pourri ces poudres vitreuses et les a réduites en terre[NdÉ 1].

Enfin, ces argiles, formées par l’intermède et par la longue et constante impression des éléments humides, se sont ensuite peu à peu desséchées, et ayant pris plus de solidité par leur dessèchement, elles ont perdu leur première forme d’argile avec leur mollesse, et elles ont formé les schistes et les ardoises, qui, quoique de même essence, diffèrent néanmoins des argiles par leur dureté, leur sécheresse et leur solidité.

Ce sont là les premiers et grands produits des détriments et de la décomposition par l’eau de toutes les matières vitreuses formées par le feu primitif ; et ces grands produits ont précédé tous les produits secondaires qui sont de la même essence vitreuse, mais qu’on ne doit regarder que comme des extraits ou stalactites de ces matières primordiales.

L’eau a de même agi, et peut-être avec plus d’avantage, sur les substances calcaires qui toutes proviennent du détriment et des dépouilles des animaux à coquilles ; elle est d’abord entrée en grande quantité dans la substance coquilleuse, comme on peut le démontrer par la grande quantité d’eau que l’on tire de cette substance coquilleuse et de toute matière calcaire, en leur faisant subir l’action du feu. L’eau, après avoir passé par le filtre des animaux à coquilles, et contribué à la formation de leur enveloppe pierreuse, en est devenue partie constituante, et s’est incorporée avec cette matière coquilleuse au point d’y résider à jamais. Toute matière coquilleuse ou calcaire est réellement composée de plus d’un quart d’eau, sans y comprendre l’air fixe qui s’est incarcéré dans leur substance en même temps que l’eau.

Les eaux rassemblées dans les vastes bassins qui leur servaient de réceptacle, et couvrant dans les premiers temps toutes les parties du globe, à l’exception des montagnes élevées, ont dès lors éprouvé le mouvement du flux et du reflux, et tous les autres mouvements qui les agitaient par les vents et les orages ; et dès lors, elles ont transporté, brisé et accumulé les dépouilles et débris des coquillages et de toutes les productions pierreuses des animaux marins, dont les enveloppes sont de la même nature que la substance des coquilles ; elles ont déposé tous ces détriments, plus ou moins brisés et réduits en poudre, sur les argiles, les glaises et les schistes par lits horizontaux, ou inclinés comme l’était le sol sur lequel ils tombaient en forme de sédiment. Ce sont ces mêmes sédiments des coquilles et autres substances de même nature, réduites en poudre et en débris, qui ont formé les craies, les pierres calcaires, les marbres, et même les plâtres, lesquels ne diffèrent des autres matières calcaires qu’en ce qu’ils ont été fortement imprégnés de l’acide vitriolique contenu dans les argiles et les glaises.

Toutes ces grandes masses de matières calcaires et argileuses, une fois établies et soli-

  1. Quelque problématique que soient ces premières actions produites par l’eau sur les premières couches solidifiées du globe, elles sont dépeintes par Buffon de telle sorte qu’il est permis de voir dans son exposé la preuve qu’il avait deviné toute l’importance du rôle des eaux dans la formation des roches qui constituent la surface du globe. (Voyez mon introduction.)