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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/111

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bien et fait des pas de quinze pouces d’étendue : il poursuit les oiseaux de toute espèce et il en fait sa proie ; il chasse aussi les lièvres, les lapins, les jeunes renards et les petits faons, et n’épargne pas même le poisson ; il est d’une telle férocité qu’on ne peut l’apprivoiser ; non seulement il poursuit sa proie au vol en s’élançant du sommet d’un arbre ou de quelque rocher élevé, mais encore à la course ; il vole avec grand bruit : il niche dans les forêts épaisses et désertes sur les arbres les plus élevés ; il mange la chair, les entrailles des animaux vivants, et même les cadavres : quoique très vorace il peut supporter l’abstinence pendant quatorze jours. On prit deux de ces oiseaux en Alsace au mois de janvier 1513, et l’année suivante on en trouva d’autres dans un nid qui était construit sur un gros chêne très élevé, à quelque distance de la ville de Misen.

Tous les grands vautours, c’est-à-dire le percnoptère, le griffon, le vautour proprement dit, et le vautour à aigrette, ne produisent qu’en petit nombre et une seule fois l’année. Aristote dit qu’ordinairement ils ne pondent qu’un œuf ou deux[1] : ils font leurs nids dans des lieux si hauts et d’un accès si difficile qu’il est très rare d’en trouver ; ce n’est que dans les montagnes élevées et désertes que l’on doit les chercher[2] ; les vautours habitent ces lieux de préférence pendant toute la belle saison, et ce n’est que quand les neiges et les glaces commencent à couvrir ces sommets de montagnes qu’on les voit descendre dans les plaines et voyager en hiver du côté des pays chauds ; car il paraît que les vautours craignent plus le froid que la plupart des aigles ; ils sont moins communs dans le Nord ; il semblerait même qu’il n’y en a point du tout en Suède ni dans les pays au delà ; puisque M. Linnæus, dans l’énumération qu’il fait de tous les oiseaux de la Suède[3], ne fait aucune mention des vautours : cependant nous parlerons dans l’article suivant d’un vautour qu’on nous a envoyé de Norvège, mais cela n’empêche pas qu’ils ne soient plus nombreux dans les climats chauds, en Égypte[4], en Arabie, dans les îles de l’Archipel et dans plusieurs autres provinces de l’Afrique et de l’Asie : on y fait même grand usage de la peau des vautours ;

  1. « Rupibus inaccessis parit, neque locorum plurium incola avis hæc est, edit non plus quam unum aut duo complurimum. » Arist., Hist. anim., lib. ix, cap. ii.
  2. En général, les vautours et les aigles qui habitent les îles et les autres terres voisines de la mer ne bâtissent pas leurs nids sur des arbres, mais contre des rochers escarpés et dans des lieux inaccessibles, de sorte qu’on ne peut les voir que de la mer lorsqu’on est sur un vaisseau. Voyez les Observations de Belon, depuis la page 10 jusqu’à 14. — Dapper dit la même chose et ajoute que, quand on veut prendre leurs petits ou leurs œufs, on attache une longue corde à un gros pieu profondément enfoncé et bien affermi en terre au haut de la montagne, et qu’un homme se laisse glisser le long de la corde, en descendant jusqu’au nid de l’oiseau, dans une corbeille où il met les petits et les œufs, et qu’ensuite on le tire en haut avec sa prise. Voyez Description des îles de l’Archipel, par Dapper, p. 460.
  3. Linn., Fauna Suecica, p. 16 et seq. usque ad p. 24.
  4. Étant en Égypte et ès plaines de l’Arabie déserte, avons observé que les vautours y sont fréquents et grands. Belon, Hist. nat. des Oiseaux, p. 84.