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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/125

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d’un mouton ; que leur chair est coriace et sent la charogne ; qu’ils ont la vue perçante, le regard assuré et même cruel ; qu’ils ne fréquentent guère les forêts ; qu’il leur faut trop d’espace pour remuer leurs grandes ailes ; mais qu’on les trouve sur les bords de la mer et des rivières, dans les savanes ou prairies naturelles[1].

M. Ray[2], et presque tous les naturalistes après lui[3], ont pensé que le condor était du genre des vautours, à cause de sa tête et de son cou dénués de plumes ; cependant on pourrait en douter encore, parce qu’il paraît que son naturel tient plus de celui des aigles ; il est, disent les voyageurs, courageux et très fier ; il attaque seul un homme et tue aisément un enfant de dix ou douze ans[4] ; il arrête un troupeau de moutons et choisit à son aise celui qu’il veut enlever ; il emporte les chevreuils, tue les biches et les vaches, et prend aussi de gros poissons. Il vit donc, comme les aigles, du produit de sa chasse ; il se nourrit de proies vivantes et non pas de cadavres ; toutes ces habitudes sont plus de l’aigle que du vautour[NdÉ 1]. Quoi qu’il en soit, il me paraît que cet oiseau, qui est encore peu connu, parce qu’il est rare partout, n’est cependant pas confiné aux seules terres méridionales

  1. Voyage de Desmarchais, t. III, p. 321 et 322. — C’est aussi au condor qu’il faut rapporter les passages suivants. Nos matelots, dit G. Spilberg, prirent dans l’île de Loubet, aux côtes du Pérou, deux oiseaux d’une grandeur extraordinaire qui avaient un bec, des ailes et des griffes comme en ont les aigles, un cou comme celui d’une brebis et une tête comme celle d’un coq, si bien que leur figure était aussi extraordinaire que leur grandeur. Recueil des voyages de la Compagnie des Indes de Hollande, t. IV, p. 528. — Il y avait, dit Ant. de Solis, dans la ménagerie de l’empereur du Mexique, des oiseaux d’une grandeur et d’une fierté si extraordinaire, qu’ils paraissaient des monstres… d’une taille surprenante et d’une prodigieuse voracité, jusque-là, qu’on trouve un auteur qui avance qu’un de ces oiseaux mangeait un mouton à chaque repas. Hist. de la conquête du Mexique, t. Ier, p. 5.
  2. « Hujus generis (vulturini) esse videtur avis illa ingens chilensis contur dicta ; avis ista ex descriptione rudi qualem extorquere potui, quin vultur fuerit ex aurarum dictarum genere minime dubito ; a nautis ob caput calvum seu implume pro gallopavone per errorem initio habita est, ut et aura a primis nostræ gentis (Anglicæ) Americæ colonis. » Ray, Synops. Avi., p. 11 et 12.
  3. Vultur Gryps, Gryphus, Greif-Geier. Klein, Ord. Avi., p. 45. — Le condor. Brisson, Ornithol., t. I, p. 473.
  4. Il est souvent arrivé qu’un seul de ces oiseaux a tué et mangé des enfants de dix ou douze ans. Trans. philos., no 208. Sloane. — Le fameux oiseau, appelé au Pérou cuntur, et par corruption condor, que j’ai vu en plusieurs endroits des montagnes de la province de Quito, se trouve aussi, si ce qu’on m’a assuré est vrai, dans les pays bas des bords du Maragnon : j’en ai vu planer au-dessus d’un troupeau de moutons ; il y a apparence que la vue du berger les empêchait de rien entreprendre ; c’est une opinion universellement répandue, que cet oiseau enlève un chevreuil, et qu’il a quelquefois fait sa proie d’un enfant : on prétend que les Indiens lui présentent pour appât une figure d’enfant d’une argile très visqueuse, sur laquelle il fond d’un vol rapide, et qu’il y engage ses serres, de manière qu’il ne lui est plus possible de s’en dépêtrer. Voyage de la rivière des Amazones, par M. de La Condamine, p. 172.
  1. Le condor est beaucoup moins délicat que ne le dit Buffon. Il se précipite fort bien sur les animaux morts et en putréfaction, et l’on se sert souvent, d’après Humboldt, pour le chasser, de quartiers de bœuf à demi putréfiés que l’on place dans une enceinte fermée par une palissade. Lorsque le condor est repu, il ne s’envole qu’avec la plus grande difficulté, et les Indiens le tuent à coups de bâton avant qu’il ait pu franchir la palissade.