Aller au contenu

Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Amérique ; je suis persuadé qu’il se trouve également en Afrique, en Asie et peut-être même en Europe. Garcilasso a eu raison de dire que le condor du Pérou et du Chili[1] est le même oiseau que le ruch ou roc des Orientaux, si fameux dans les contes arabes, et dont Marc Paul a parlé ; et il a eu encore raison de citer Marc Paul avec les contes arabes, parce qu’il y a dans sa relation presque autant d’exagération. « Il se trouve, dit-il, dans l’île de Madagascar, une merveilleuse espèce d’oiseau qu’ils appellent roc, qui a la ressemblance de l’aigle, mais qui est, sans comparaison, beaucoup plus grand… les plumes des ailes étant de six toises de longueur et le corps grand à proportion ; il est de telle force et puissance que, seul et sans aucune aide, il prend et arrête un éléphant qu’il enlève en l’air et laisse tomber à terre pour le tuer, et se repaître ensuite de sa chair[2]. » Il n’est pas nécessaire de faire sur cela des réflexions critiques ; il suffit d’y opposer des faits plus vrais, tels que ceux qui viennent de précéder et ceux qui vont suivre. Il me paraît que l’oiseau, presque grand comme une autruche, dont il est parlé dans l’Histoire des navigations aux terres australes[3], ouvrage que M. le président de Brosses a rédigé avec autant de discernement que de soin, doit être le même que le condor des Américains et le roc des Orientaux ; de même, il me paraît que l’oiseau de proie des environs de Tarnasar[4], ville des Indes orientales, qui est bien plus grand que l’aigle, et dont le bec sert à faire une poignée d’épée, est encore le condor, ainsi que le vautour du Sénégal[5], qui ravit et enlève des enfants ; que l’oiseau sauvage de Laponie[6], gros et grand comme un

  1. Hist. des Incas, t. Ier, p. 27.
  2. Description géographique, etc., par Marc Paul, liv. iii, chap. xl
  3. Aux branches de l’arbre qui produit les fruits appelés pains de singe étaient suspendus des nids qui ressemblaient à de grands paniers ovales, ouverts par en bas et tissus confusément de branches d’arbre assez grosses ; je n’eus pas la satisfaction de voir les oiseaux qui les avaient construits ; mais les habitants du voisinage m’assurèrent qu’ils avaient assez la figure de cette espèce d’aigle qu’ils appellent ntann. À juger de la grandeur de ces oiseaux par celle de leurs nids, elle ne devait pas être beaucoup inférieure à celle de l’autruche. Hist. des navigations aux terres Australes, t. II, p. 104.
  4. « In regione circa Tarnasar urbem Indiæ complura avium genera sunt, raptu præsertim viventia, longe aquilis proceriora ; nam ex superiore rostri parte ensium capituli fabricantur. Id rostri fulvum cæruleo colore distinctum… Aliti vero color est nige et item purpureus intercursantibus pennis nonnullis » Lud. Patritius apud Gesnerum, Avi., p. 206.
  5. Il y a au Sénégal des vautours aussi gros que des aigles, qui dévorent les petits enfants quand ils en peuvent attraper à l’écart. Voyage de Le Maire, p. 106.
  6. Il se trouve aussi dans la Laponie moscovite un oiseau sauvage de couleur d’un gris de perle, gros et grand comme un mouton, ayant la tête faite comme un chat, les yeux fort étincelants et rouges ; le bec comme un aigle, les pieds et les griffes de même. Voyage des pays septentrionaux, par La Martinière, p. 76, avec une figure. — Il n’y a guère moins d’oiseaux que de bêtes à quatre pieds en Laponie ; les aigles s’y rencontrent en abondance ; il s’en trouve d’une grosseur si prodigieuse qu’elles peuvent, comme je l’ai déjà dit ailleurs, emporter des faons de rennes lorsqu’ils sont jeunes, dans leurs nids qu’ils font au sommet des plus hauts arbres ; ce qui fait qu’il y a toujours quelqu’un pour les garder. Regnard, Voyage de Laponie, p. 181.