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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/127

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mouton, dont parlent Regnard et La Martinière, et dont Olaüs Magnus a fait graver le nid, pourrait bien encore être le même. Mais, sans aller prendre nos comparaisons si loin, à quelle autre espèce peut-on rapporter le laemmer geyer des Allemands ? Ce vautour des agneaux ou des moutons, qui a souvent été vu en Allemagne et en Suisse en différents temps, et qui est beaucoup plus grand que l’aigle, ne peut être que le condor. Gessner rapporte, d’après un auteur digne de foi, Georges Fabricius, les faits suivants : Des paysans d’entre Miesen et Brisa, villes d’Allemagne, perdant tous les jours quelques pièces de bétail qu’ils cherchaient vainement dans les forêts, aperçurent un très grand nid posé sur trois chênes, construit de perches et de branches d’arbres, et si étendu qu’un char pouvait être à l’abri dessous ; ils trouvèrent dans ce nid trois jeunes oiseaux déjà si grands, que leurs ailes étendues avaient sept aunes d’envergure ; leurs jambes étaient plus grosses que celles d’un lion, leurs ongles aussi grands et aussi gros que les doigts d’un homme ; il y avait dans ce nid plusieurs peaux de veaux et de brebis[1]. M. Valmont de Bomare et M. Salerne ont pensé comme moi, que le laemmer geyer des Alpes devait être le condor du Pérou. Il a, dit M. de Bomare, quatorze pieds de vol, et fait une guerre cruelle aux chèvres, aux brebis, aux chamois, aux lièvres et aux marmottes. M. Salerne rapporte aussi un fait très positif à ce sujet, et qui est assez important pour le citer ici tout au long. « En 1719, M. Déradin, beau-père de M. du Lac, tua à son château de Mylourdin, paroisse de Saint-Martin-d’Abat, un oiseau qui pesait dix-huit livres, et qui avait dix-huit pieds de vol ; il volait depuis quelques jours autour d’un étang ; il fut percé de deux balles sous l’aile. Il avait le dessus du corps bigarré de noir, de gris et de blanc, et le dessus du ventre rouge comme de l’écarlate, et ses plumes étaient frisées ; on le mangea tant au château de Mylourdin qu’à Châteauneuf-sur-Loire ; il fut trouvé dur, et sa chair sentait un peu le marécage ; j’ai vu et examiné une des moindres plumes de ses ailes ; elle est plus grosse que la plus grosse plume de cygne. Cet oiseau singulier semblerait être le contur ou condor[2]. » En effet, l’attribut de grandeur excessive doit être regardé comme un caractère décisif, et quoique le laemner geyer des Alpes diffère du condor du Pérou, par les couleurs du plumage, on ne peut s’empêcher de les rapporter à la même espèce, du moins jusqu’à ce que l’on ait une description plus exacte de l’un et de l’autre[NdÉ 1].

Il paraît, par les indications des voyageurs, que le condor du Pérou a le plumage comme une pie, c’est-à-dire mêlé de blanc et de noir ; et ce grand

  1. Diction. d’Hist. nat., par M. Valmont de Bomare, article de l’aigle.
  2. Ornithol. de Salerne, p. 10.
  1. Buffon commet ici une erreur. Le Læmmer geyer des Alpes est une espèce très différente, le Gypaetus barbatus Cuv. [Note de Wikisource : actuellement Gypaetus barbatus Linnæus, vulgairement gypaète barbu — par ailleurs, le condor n’est présent que sur la façade ouest de l’Amérique du Sud, et toutes les identifications de Buffon sont aussi fausses que l’identification avec le gypaète barbu].