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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/131

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les tue bien plus aisément que les aigles et les vautours : détenus en captivité, ils sont encore moins susceptibles d’éducation ; de tout temps, on les a proscrits, rayés de la liste des oiseaux nobles, et rejetés de l’école de la fauconnerie ; de tout temps, on a comparé l’homme grossièrement impudent au milan, et la femme tristement bête à la buse.

Quoique ces oiseaux se ressemblent par le naturel, par la grandeur du corps[1], par la forme du bec et par plusieurs autres attributs, le milan est néanmoins aisé à distinguer, non seulement des buses, mais de tous les autres oiseaux de proie, par un seul caractère facile à saisir ; il a la queue fourchue ; les plumes du milieu, étant beaucoup plus courtes que les autres, laissent paraître un intervalle qui s’aperçoit de loin, et lui a fait improprement donner le surnom d’aigle à queue fourchue ; il a aussi les ailes proportionnellement plus longues que les buses, et le vol bien plus aisé : aussi passe-t-il sa vie dans l’air ; il ne se repose presque jamais, et parcourt chaque jour des espaces immenses ; et ce grand mouvement n’est point un exercice de chasse, ni de poursuite de proie, ni même de découverte, car il ne chasse pas ; mais il semble que le vol soit son état naturel, sa situation favorite : l’on ne peut s’empêcher d’admirer la manière dont il l’exécute, ses ailes longues et étroites paraissent immobiles ; c’est la queue qui semble diriger toutes ses évolutions, et elle agit sans cesse ; il s’élève sans effort, il s’abaisse comme s’il glissait sur un plan incliné ; il semble plutôt nager que voler ; il précipite sa course, il la ralentit, s’arrête et reste comme suspendu ou fixé à la même place pendant des heures entières, sans qu’on puisse s’apercevoir d’aucun mouvement dans ses ailes.

Il n’y a, dans notre climat, qu’une seule espèce de milan[NdÉ 1], que nos Français ont appelé milan royal[2], parce qu’il servait aux plaisirs des princes, qui lui faisaient donner la chasse et livrer combat par le faucon ou l’épervier ; on voit en effet, avec plaisir, cet oiseau lâche, quoique doué de toutes les facultés qui devraient lui donner du courage, ne manquant ni d’armes, ni de force, ni de légèreté, refuser de combattre et fuir devant l’épervier, beaucoup plus petit que lui, toujours en tournoyant et s’élevant comme pour se cacher dans les nues, jusqu’à ce que celui-ci l’atteigne, le rabatte à coups d’ailes, de serres et de bec, et le ramène à terre

  1. « Milvus regalis magnitudine et habitu buteoni conformis est… crura illi sunt crocea humiliora, buteonis ultrà poplites propendentibus plumis similiter ferrugineis dilatis obteguntur. » Schwenckfeld, Avi. Sil., p. 303.
  2. Les Grecs appelaient ἰκτίς le putois ; et il est probable qu’ils ont donné au milan le même nom, parce que le milan attaque et tue les volailles comme le putois. — Les Latins l’ont appelé milvus, quasi mollis avis, oiseau lâche ; les noms huau ou huo en vieux français, et wowe en hollandais semblent être des dénominations empruntées de son cri hu-o. — Glead en anglais et glada en suédois sont tirés de ce qu’il paraît glisser en volant. — Milion est un mot corrompu de milan.
  1. C’est le Milvus regalis Briss. [Note de Wikisource : actuellement Milvus Milvus Linnæus].