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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/132

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moins blessé que battu, et plus vaincu par la peur que par la force de son ennemi.

Le milan, dont le corps entier ne pèse guère que deux livres et demie, qui n’a que seize ou dix-sept pouces de longueur depuis le bout du bec jusqu’à l’extrémité des pieds, a néanmoins près de cinq pieds de vol ou d’envergure : la peau nue qui couvre la base du bec est jaune, aussi bien que l’iris des yeux et les pieds ; le bec est de couleur de corne et noirâtre vers le bout, et les ongles sont noirs ; sa vue est aussi perçante que son vol est rapide ; il se tient souvent à une si grande hauteur qu’il échappe à nos yeux, et c’est de là qu’il vise et découvre sa proie ou sa pâture, et se laisse tomber sur tout ce qu’il peut dévorer ou enlever sans résistance ; il n’attaque que les plus petits animaux et les oiseaux les plus faibles : c’est surtout aux jeunes poussins qu’il en veut ; mais la seule colère de la mère poule suffit pour le repousser et l’éloigner. « Les milans sont des animaux tout à fait lâches, m’écrit un de mes amis[1], je les ai vus poursuivre à deux un oiseau de proie pour lui dérober celle qu’il tenait, plutôt que de fondre sur lui, et encore ne purent-ils y réussir : les corbeaux les insultent et les chassent ; ils sont aussi voraces, aussi gourmands que lâches : je les ai vus prendre, à la superficie de l’eau, de petits poissons morts et à demi corrompus ; j’en ai vu emporter une longue couleuvre dans leurs serres ; d’autres se poser sur des cadavres de chevaux et de bœufs ; j’en ai vu fondre sur des tripailles que des femmes lavaient le long d’un petit ruisseau, et les enlever presque à côté d’elles : je m’avisai une fois de présenter à un jeune milan, que des enfants nourrissaient dans la maison que j’habitais, un assez gros pigeonneau : il l’avala tout entier avec les plumes. »

Cette espèce de milan est commune en France, surtout dans les provinces de Franche-Comté, du Dauphiné, du Bugey, de l’Auvergne, et dans toutes les autres qui sont voisines des montagnes : ce ne sont pas des oiseaux de passage, car ils font leur nid dans le pays et l’établissent dans des creux de rochers. Les auteurs de la Zoologie britannique[2] disent de même qu’ils nichent en Angleterre et qu’ils y restent pendant toute l’année ; la femelle pond deux ou trois œufs qui, comme ceux de tous les oiseaux carnassiers, sont plus ronds que les œufs de poule ; ceux du milan sont blanchâtres, avec des taches d’un jaune sale. Quelques auteurs ont dit qu’il faisait son nid, dans les forêts, sur de vieux chênes ou de vieux sapins ; sans nier absolument le fait, nous pouvons assurer que c’est dans des trous de rochers qu’on les trouve communément.

  1. M. Hébert, que j’ai déjà cité comme ayant bien observé plusieurs faits relatifs à l’histoire des oiseaux.
  2. « Some have supposed these to be birds of passage ; but in England they certainly continue the whole year. » British Zoology, Species vi, the kite.