Aller au contenu

Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

la distribution des couleurs, et qui est plus estimé des fauconniers que celui d’Islande, parce qu’ils lui trouvent plus de courage, plus d’activité et plus de docilité ; et indépendamment de cette première variété, qui paraît être variété de l’espèce, il y en a une seconde qu’on pourrait attribuer au climat, si tous n’étaient pas également des pays froids ; cette seconde variété est le gerfaut blanc, qui diffère beaucoup des deux premiers, et nous présumons que dans ceux de Norvège aussi bien que dans ceux d’Islande il s’en trouve de blancs ; en sorte qu’il est probable que c’est une seconde variété commune aux deux premières, et qu’il existe en effet dans l’espèce du gerfaut trois races constantes et distinctes, dont la première est le gerfaut d’Islande, la seconde le gerfaut de Norvège, et la troisième le gerfaut blanc ; car d’habiles fauconniers nous ont assuré que ces derniers étaient blancs dès la première année, et conservaient leur blancheur dans les années suivantes : en sorte qu’on ne peut attribuer cette couleur à la vieillesse de l’animal ou au climat plus froid, les bruns se trouvant également dans le même climat. Ces oiseaux sont naturels aux pays froids du Nord, de l’Europe et de l’Asie ; ils habitent en Russie, en Norvège, en Islande, en Tartarie, et ne se trouvent point dans les climats chauds, ni même dans nos pays tempérés. C’est, après l’aigle, le plus puissant, le plus vif, le plus courageux de tous les oiseaux de proie : ce sont aussi les plus chers et les plus estimés de tous ceux de la fauconnerie ; on les transporte d’Islande et de Russie en France[1], en Italie et jusqu’en Perse et en Turquie[2], et il ne paraît pas que la chaleur plus grande de ces climats leur ôte rien de leur force et de leur vivacité ; ils attaquent les plus grands oiseaux, et font aisément leur proie de la cigogne, du héron et de la grue ; ils tuent les lièvres en se laissant tomber à plomb dessus ; la femelle est, comme dans les autres oiseaux de proie, beaucoup plus grande et plus forte que le mâle ; on appelle celui-ci tiercelet de gerfaut, qui ne sert dans la fauconnerie que pour voler le milan, le héron et les corneilles.


  1. Nous ne verrions point le gerfaut, s’il ne nous était apporté d’étrange pays ; on dit qu’il vient de Russie, où il fait son aire, et qu’il ne hante ne l’Italie ne France, et qu’il est oiseau passager en Allemagne… C’est un oiseau bon à tous vols ; car il ne refuse jamais rien, et il est plus hardi que nul autre oiseau de proie. Belon, Hist. nat. des Oiseaux, p. 94 et 95.
  2. C’est au gerfaut qu’il faut rapporter le passage suivant : « Il ne faut pas oublier de faire mention d’un oiseau de proie qui vient de Moscovie, d’où on le transporte en Perse, et qui est presque aussi gros qu’un aigle ; ces oiseaux sont rares, et il n’y a que le roi seul qui puisse en avoir. Comme c’est la coutume en Perse d’évaluer les présents que l’on fait au roi, sans en rien excepter, ces oiseaux sont mis à cent tomans la pièce, qui font quinze cents écus ; et s’il en meurt quelques-uns en chemin, l’ambassadeur en apporte à Sa Majesté la tête et les ailes, et on lui tient compte de l’oiseau comme s’il était vivant : on dit que cet oiseau fait son nid dans la neige, qu’il perce jusqu’à terre par la chaleur de son corps, et quelquefois jusqu’à une toise de hauteur, etc.,… » Voyage de Chardin, t. II, p. 31.