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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/157

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domestiques : cependant rien n’est moins vrai ; l’homme n’a point influé sur la nature de ces animaux ; quelque utiles aux plaisirs, quelque agréables qu’il soient pour le faste des princes chasseurs, jamais on n’a pu en élever, en multiplier l’espèce ; on dompte à la vérité le naturel féroce de ces oiseaux par la force de l’art et des privations[1] ; on leur fait acheter leur vie par des mouvements qu’on leur commande ; chaque morceau de leur subsistance ne leur est accordé que pour un service rendu ; on les attache, on les garrotte, on les affuble, on les prive même de la lumière et de toute nourriture pour les rendre plus dépendants, plus dociles, et ajouter à leur vivacité naturelle l’impétuosité du besoin[2] ; mais ils servent par nécessité, par

  1. Pour dresser le faucon, l’on commence par l’armer d’entraves appelées jets, au bout desquelles on met un anneau sur lequel est écrit le nom du maître ; on y ajoute des sonnettes qui servent à indiquer le lieu où il est lorsqu’il s’écarte de la chasse ; on le porte continuellement sur le poing ; on l’oblige de veiller : s’il est méchant et qu’il cherche à se défendre, on lui plonge la tête dans l’eau ; enfin on le contraint par la faim et par la lassitude à se laisser couvrir la tête d’un chaperon qui lui enveloppe les yeux ; cet exercice dure souvent trois jours et trois nuits de suite : il est rare qu’au bout de ce temps les besoins qui le tourmentent et la privation de la lumière ne lui fassent pas perdre toute idée de liberté ; on juge qu’il a oublié sa fierté naturelle lorsqu’il se laisse aisément couvrir la tête, et que découvert il saisit le pât ou la viande qu’on a soin de lui présenter de temps en temps ; la répétition de ces leçons en assure peu à peu le succès : les besoins étant le principe de la dépendance, on cherche à les augmenter en lui nettoyant l’estomac par des cures ; ce sont de petites pelotes de filasse qu’on lui fait avaler et qui augmentent son appétit ; on le satisfait après l’avoir excité, et la reconnaissance attache l’oiseau à celui même qui l’a tourmenté. Encyclopédie, à l’article de la Fauconnerie.
  2. Lorsque les premières leçons ont réussi et que l’oiseau montre de la docilité, on le porte sur le gazon dans un jardin : là on le découvre, et, avec l’aide de la viande, on le fait sauter de lui-même sur le poing ; quand il est assuré à cet exercice, on juge qu’il est temps de lui donner le vif et de lui faire connaître le leurre ; c’est une représentation de proie, un assemblage de pieds et d’ailes dont les fauconniers se servent pour réclamer les oiseaux et sur lequel on attache leur viande ; il est important qu’ils soient non seulement accoutumés, mais affriandés à ce leurre ; dès que l’oiseau a fondu dessus et qu’il a pris seulement une beccade, quelques fauconniers sont dans l’usage de retirer le leurre, mais par cette méthode on court risque de rebuter l’oiseau ; il est plus sûr, lorsqu’il a fait ce qu’on attend de lui, de le paître tout à fait, et ce doit être la récompense de sa docilité ; le leurre est l’appât qui doit le faire revenir lorsqu’il sera élevé dans les airs, mais il ne serait pas suffisant sans la voix du fauconnier qui l’avertit de se tourner de ce côté-là ; il faut que ces leçons soient souvent répétées… Il faut chercher à bien connaître le caractère de l’oiseau, parler souvent à celui qui paraît moins attentif à la voix, laisser jeûner celui qui revient le moins avidement au leurre ; laisser aussi veiller plus longtemps celui qui n’est pas assez familier, couvrir souvent du chaperon celui qui craint ce genre d’assujettissement : lorsque la familiarité et la docilité de l’oiseau sont suffisamment confirmées dans un jardin, on le porte en pleine campagne, mais toujours attaché à la filière, qui est une ficelle longue d’une dizaine de toises ; on le découvre, et, en l’appelant à quelques pas de distance, on lui montre le leurre ; lorsqu’il fond dessus, on se sert de la viande et on lui en laisse prendre bonne gorge ; pour continuer de l’assurer, le lendemain on la lui montre d’un peu plus loin, et il parvient enfin à fondre dessus du bout de la filière ; c’est alors qu’il faut faire connaître et manier plusieurs fois à l’oiseau le gibier auquel on le destine ; on en conserve de privés pour cet usage : cela s’appelle donner l’escap ; c’est la dernière leçon, mais elle doit se répéter jusqu’à ce qu’on soit parfaitement assuré de l’oiseau : alors on le met hors de filière, et on le vole pour lors. Encyclopédie, article de la Fauconnerie.