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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/158

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habitude et sans attachement ; ils demeurent captifs sans devenir domestiques ; l’individu seul est esclave, l’espèce est toujours libre, toujours également éloignée de l’empire de l’homme. Ce n’est même qu’avec des peines infinies qu’on en fait quelques-uns prisonniers, et rien n’est plus difficile que d’étudier leurs mœurs dans l’état de nature ; comme ils habitent les rochers les plus escarpés des plus hautes montagnes, qu’ils s’approchent très rarement de terre, qu’ils volent d’une hauteur et d’une rapidité sans égale, on ne peut avoir que peu de faits sur leurs habitudes naturelles. On a seulement remarqué qu’ils choisissent toujours pour élever leurs petits les rochers exposés au midi ; qu’ils se placent dans les trous et les anfractures les plus inaccessibles[NdÉ 1] ; qu’ils font ordinairement quatre œufs dans les derniers mois de l’hiver ; qu’ils ne couvent pas longtemps, car les petits sont adultes vers le 15 de mai ; qu’ils changent de couleur suivant le sexe, l’âge et la mue ; que les femelles sont considérablement plus grosses que les mâles ; que tous deux jettent des cris perçants, désagréables et presque continuels dans le temps qu’ils chassent leurs petits pour les dépayser : ce qui se fait, comme chez les aigles, par la dure nécessité, qui rompt les liens des familles et de toute société dès qu’il n’y a pas assez pour partager, ou qu’il y a impossibilité de trouver assez de vivres pour subsister ensemble dans les mêmes terres.

Le faucon est peut-être l’oiseau dont le courage est le plus franc, le plus grand, relativement à ses forces ; il fond sans détour et perpendiculairement sur sa proie, au lieu que l’autour et la plupart des autres arrivent de côté : aussi prend-on l’autour avec des filets dans lesquels le faucon ne s’empêtre jamais ; il tombe à plomb sur l’oiseau victime exposé au milieu de l’enceinte des filets, le tue, le mange sur le lieu s’il est gros, ou l’emporte s’il n’est pas trop lourd, en se relevant à plomb[NdÉ 2] ; s’il y a quelque faisanderie dans son voisinage, il choisit cette proie de préférence ; on le voit tout à coup fondre sur un troupeau de faisans comme s’il tombait des nues, parce qu’il arrive de si haut, et en si peu temps, que son apparition est toujours imprévue et souvent inopinée : on le voit fréquemment attaquer le milan, soit pour exercer son courage, soit pour lui enlever une proie ; mais il lui fait plutôt

  1. Le faucon habite les grandes forêts, particulièrement celles qui possèdent des rochers très escarpés. On le trouve aussi très fréquemment dans les villes, où il niche dans les tours et les clochers. Dans les forêts dépourvues de rochers il construit, sur le haut des arbres, des nids grossiers, formés de branches ou bien il s’empare des nids des corneilles.
  2. Le faucon commun ne se nourrit guère que d’oiseaux qu’il chasse, surtout au vol, et poursuit avec une rapidité telle que l’œil ne peut le suivre. « L’impétuosité de cette attaque, dit Brehm, est la cause, sans doute, pour laquelle le faucon ne s’en prend pas volontiers aux oiseaux perchés ou arrêtés sur le sol, car il est exposé à se tuer en se heurtant contre un objet résistant. On a des exemples de faucons qui se sont ainsi assommés contre des branches d’arbres. Pallas assure même qu’ils se noient souvent en poursuivant des canards ; leur vitesse acquise est telle, qu’ils plongent fort avant dans l’eau et ne peuvent revenir à la surface. »