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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/176

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bois et les buissons pour y saisir les petits oiseaux, et chasse seul sans être accompagné de sa femelle ; elle niche dans les forêts en montagnes et produit cinq ou six petits.

Mais, indépendamment de cet émerillon dont nous venons de donner l’histoire, il existe une autre espèce d’émerillon mieux connue des naturalistes, dont M. Frisch a donné la figure (pl. lxxxix), et qui a été décrit d’après nature par M. Brisson, tome Ier, page 382. Cet émerillon diffère, en effet, par un assez grand nombre de caractères de l’émerillon des fauconniers ; il paraît même approcher beaucoup plus de l’espèce de la cresserelle, du moins autant qu’il nous est permis d’en juger par la représentation, n’ayant pu nous le procurer en nature ; mais ce qui semble appuyer notre conjecture, c’est que les oiseaux d’Amérique qui nous ont été envoyés sous les noms d’émerillon de Cayenne et émerillon de Saint-Domingue ne nous paraissent être que des variétés d’une seule espèce, et peut-être l’un de ces oiseaux n’est-il que le mâle ou la femelle de l’autre ; mais tous deux ressemblent si fort à l’émerillon donné par M. Frisch, qu’on doit les regarder comme étant d’espèce très voisine, et cet émerillon d’Europe, aussi bien que ces émerillons d’Amérique, dont les espèces sont si voisines, paraîtront à tous ceux qui les considéreront attentivement beaucoup plus près de la cresserelle que de l’émerillon des fauconniers ; il se peut donc que cette espèce ait passé d’un continent à l’autre, et, en effet, M. Linnæus fait mention des cresserelles en Suède et ne dit pas que les émerillons s’y trouvent : ceci semble confirmer encore notre opinion que ce prétendu émerillon des naturalistes n’est qu’une variété, ou tout au plus une espèce très voisine de celle de la cresserelle ; on pourrait même lui donner un nom particulier, si on voulait la distinguer soit de l’émerillon des fauconniers, soit de la cresserelle, et ce nom serait celui qu’on lui donne dans les îles Antilles. « L’émerillon, dit le P. du Tertre, que nos habitants appellent gry-gry, à cause qu’en volant il jette un cri qu’ils expriment par ces syllabes gry gry, est un autre petit oiseau de proie qui n’est guère plus gros qu’une grive ; il a toutes les plumes de dessus le dos et des ailes rousses, tachées de noir, et le dessous du ventre blanc, moucheté d’hermine ; il est armé de bec et de griffes à proportion de sa grandeur ; il ne fait la chasse qu’aux petits lézards et aux sauterelles, et quelquefois aux petits poulets quand ils sont nouvellement éclos ; je leur en ai fait lâcher plusieurs fois, ajoute-t-il ; la poule se défend contre lui et lui donne la chasse ; les habitants en mangent, mais il n’est pas bien gras[1]. »

La ressemblance du cri de cet émerillon du P. du Tertre[2] avec le cri de notre cresserelle est encore un autre indice du voisinage de ces espèces ; et

  1. Hist. nat. des Antilles, par du Tertre, t. II, p. 253 et 254.
  2. Le cri de la cresserelle est pri, pri, ce qui approche beaucoup de gry, gry qui est le nom qu’on donne aux Antilles à cet oiseau à cause de son cri.