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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/218

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passer d’un continent à l’autre ; aussi la trouve-t-on en Amérique depuis les terres du nord jusqu’à celles du midi. Marcgrave l’a vue et reconnue au Brésil, où les naturels du pays l’appellent tuidara[1].

L’effraie ne va pas, comme la hulotte et le chat-huant, pondre dans des nids étrangers ; elle dépose ses œufs à cru dans des trous de muraille ou sur des solives sous les toits, et aussi dans des creux d’arbres ; elle n’y met ni herbes ni racines, ni feuilles pour les recevoir ; elles pond de très bonne heure au printemps, c’est-à-dire dès la fin de mars ou le commencement d’avril ; elle fait ordinairement cinq œufs et quelquefois six et même sept, d’une forme allongée et de couleur blanchâtre ; elle nourrit ses petits d’insectes et de morceaux de chair de souris ; ils sont tout blancs dans le premier âge, et ne sont pas mauvais à manger au bout de trois semaines, car ils sont gras et bien nourris ; les pères et mères purgent les églises de souris ; ils boivent aussi assez souvent ou plutôt mangent l’huile des lampes, surtout si elle vient à se figer. Ils avalent les souris et les mulots, les petits oiseaux tout entiers, et en rendent par le bec les os, les plumes et les peaux roulées ; leurs excréments sont blancs et liquides comme ceux de tous les autres oiseaux de proie ; dans la belle saison la plupart de ces oiseaux vont le soir dans les bois voisins, mais ils reviennent tous les matins à leur retraite ordinaire, où ils dorment et ronflent jusqu’aux heures du soir ; et quand la nuit arrive ils se laissent tomber de leur trou et volent en culbutant presque jusqu’à terre[NdÉ 1]. Lorsque le froid est rigoureux on les trouve quelquefois cinq ou six dans le même trou, ou cachées dans les fourrages ; elles y cherchent l’abri, l’air tempéré et la nourriture ; les souris sont en effet alors en plus grand nombre dans les granges que dans les lieux où l’on a tendu des rejettoires[2] et des lacets pour prendre des bécasses et des grives ; elles tuent les bécasses qu’elles trouvent suspendues et les mangent sur le lieu, mais elles emportent quelquefois les grives et les

  1. « Tuidara Brasiliensibus ; ululæ est species, Germanis Schleier eule, Belgis kerkuyle… Describitur et à Gesnero. » Marcgr., Hist. nat. Brasil., p. 205.
  2. Rejettoire, baguette de bois vert courbée, au bout de laquelle on attache un lacet, et qui par son ressort en serre le nœud coulant et enlève l’oiseau.
  1. D’après Naumann l’effraie vit souvent en bonne intelligence avec les pigeons dont le colombier lui sert de retraite. « Maintes fois, dit-il, je l’ai vue voler au milieu de mes pigeons. Habitués bientôt à sa présence, ceux-ci ne perdirent jamais ni un de leurs œufs, ni un de leurs petits ; jamais je ne la vis attaquer un pigeon adulte. Au printemps, on remarqua dans ma cour une paire d’effraies, qui y arrivaient presque chaque soir et qui finirent par s’établir dans le colombier. Dès que la nuit commençait à se faire, elles volaient tout autour ; elles entraient et sortaient sans qu’un seul pigeon bougeât. Le jour, en s’approchant avec précaution, on pouvait les voir dans un coin du colombier, dormant tranquillement parmi les pigeons et au milieu d’un tas de souris. Quand elles ont fait une chasse heureuse, elles transportent, en effet, leur proie dans leur demeure. Peut-être, amassent-elles ainsi des provisions pour avoir de quoi se nourrir pendant le mauvais temps, lorsque, par exemple, les nuits sombres et les tempêtes les empêchent de chasser. »