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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/222

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ils ont sept ou huit pouces de longueur depuis le bout du bec jusqu’à l’extrémité des ongles, et ne sont que de la grosseur d’un merle ; mais on ne les prendra pas l’un pour l’autre, si l’on se souvient que le petit duc a des aigrettes qui sont, à la vérité, très courtes et composées d’une seule plume, et que la chevèche a la tête dénuée de ces deux plumes éminentes ; d’ailleurs elle a l’iris des yeux d’un jaune plus pâle, le bec brun à la base et jaune vers le bout, au lieu que le petit duc a tout le bec noir ; elle en diffère aussi beaucoup par les couleurs, et peut aisément être reconnue par la régularité des taches blanches qu’elle a sur les ailes et sur le corps, et aussi par sa queue courte comme celle d’une perdrix ; elle a encore les ailes beaucoup plus courtes à proportion, plus courtes même que la grande chevèche ; elle a un cri ordinaire poupou poupou qu’elle pousse et répète en volant, et un autre cri qu’elle ne fait entendre que quand elle est posée, qui ressemble beaucoup à la voix d’un jeune homme qui s’écrierait aîme, hême, êsme plusieurs fois de suite[1] ; elle se tient rarement dans les bois ; son domicile ordinaire est dans les masures écartées des lieux peuplés, dans les carrières, dans les ruines des anciens édifices abandonnés ; elle ne s’établit pas dans les arbres creux, et ressemble par toutes ces habitudes à la grande chevèche ; elle n’est pas absolument oiseau de nuit, elle voit pendant le jour beaucoup mieux que les autres oiseaux nocturnes, et souvent elle s’exerce à la chasse des hirondelles et des autres petits oiseaux, quoique assez infructueusement, car il est rare quelle en prenne ; elle réussit mieux avec les souris et les petits mulots qu’elle ne peut avaler entiers et qu’elle déchire avec le bec et les ongles ; elle plume aussi très proprement les oiseaux avant de les manger, au lieu que les hiboux, la hulotte et les autres chouettes les avalent avec la plume, qu’elles vomissent ensuite sans pouvoir la digérer ; elle pond cinq œufs qui sont tachetés de blanc et de jaunâtre, et fait son nid presque à cru dans des trous de rochers ou de vieilles murailles. M. Frisch dit que comme cette petite chouette cherche la solitude, qu’elle habite communément les églises, les voûtes, les cimetières où l’on construit des tombeaux, quelques-uns l’on nommée oiseau d’église ou de cadavre, kirchen-vogel, leichen-huhu, et que comme on a remarqué aussi qu’elle voltigeait quelquefois autour des maisons où il y avait des mourants…, le peuple superstitieux l’a appelée oiseau de mort ou de cadavre, s’imaginant qu’elle présageait la mort des

  1. Étant couché dans une des vieilles tours du château de Montbard, une chevèche vint se poser un peu avant le jour, à trois heures du matin, sur la tablette de la fenêtre de ma chambre, et m’éveilla par son cri heme, edme ; comme je prêtais l’oreille à cette voix, qui me parut d’autant plus singulière qu’elle était tout près de moi, j’entendis un de mes gens, qui était couché dans la chambre au-dessus de la mienne, ouvrir sa fenêtre, et trompé par la ressemblance du son bien articulé edme, répondre à l’oiseau : Qui es-tu là-bas ? je ne m’appelle pas Edme, je m’appelle Pierre. Ce domestique croyait, en effet, que c’était un homme qui en appelait un autre, tant la voix de la chevèche ressemble à la voix humaine et articule distinctement ce mot.