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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/235

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consistance, sans adhérence réciproque, en un mot, toutes sont inutiles pour voler ou pour diriger le vol : aussi l’autruche est attachée à la terre comme par une double chaîne, son excessive pesanteur et la conformation de ses ailes ; et elle est condamnée à en parcourir laborieusement la surface, comme les quadrupèdes, sans pouvoir jamais s’élever dans l’air. Aussi a-t-elle, soit au dedans, soit au dehors, beaucoup de traits de ressemblance avec ces animaux : comme eux, elle a sur la plus grande partie du corps du poil plutôt que des plumes ; sa tête et ses flancs n’ont même que peu ou point de poil, non plus que ses cuisses, qui sont très grosses, très musculeuses, et où réside sa principale force ; ses grands pieds nerveux et charnus, qui n’ont que deux doigts, ont beaucoup de rapport avec les pieds du chameau, qui lui-même est un animal singulier entre les quadrupèdes par la forme de ses pieds ; ses ailes, armées de deux piquants semblables à ceux du porc-épic, sont moins des ailes que des espèces de bras qui lui ont été donnés pour se défendre ; l’orifice des oreilles est à découvert, et seulement garni de poil dans la partie intérieure où est le canal auditif ; sa paupière supérieure est mobile comme dans presque tous les quadrupèdes, et bordée de longs cils comme dans l’homme et l’éléphant ; la forme totale de ses yeux a plus de rapport avec les yeux humains qu’avec ceux des oiseaux, et ils sont disposés de manière qu’ils peuvent voir tous deux à la fois le même objet[1] ; enfin les espaces calleux et dénués de plumes et de poils qu’elle a, comme le chameau, au bas du sternum, et à l’endroit des os pubis, en déposant de sa grande pesanteur, la mettent de niveau avec les bêtes de somme les plus terrestres, les plus lourdes par elles-mêmes, et qu’on a coutume de surcharger des plus rudes fardeaux. Thévenot était si frappé de la ressemblance de l’autruche avec le chameau dromadaire[2], qu’il a cru lui voir une bosse sur le dos[3] ; mais quoiqu’elle ait le dos arqué, on n’y trouve rien de pareil à cette éminence charnue des chameaux et des dromadaires.

Si de l’examen de la forme extérieure nous passons à celui de la conformation interne, nous trouverons à l’autruche de nouvelles dissemblances avec les oiseaux, et de nouveaux rapports avec les quadrupèdes.

Une tête fort petite[4], aplatie et composée d’os très tendres et très faibles[5], mais fortifiée à son sommet par une plaque de corne, est soutenue

  1. Voyez Mémoires de l’Académie, année 1735, p. 146.
  2. Il faut que les rapports de ressemblance qu’a l’autruche avec le chameau soient en effet bien frappants, puisque les Grecs modernes, les Turcs, les Persans, etc., l’ont nommée, chacun dans leur langue, oiseau chameau : son ancien nom grec, strouthos, est la racine de tous les noms, sans exception, qu’elle a dans les différentes langues de l’Europe.
  3. Voyage de Thévenot, t. Ier, p. 313.
  4. Scaliger a remarqué que plusieurs autres oiseaux pesants, tels que le coq, le paon, le dindon, etc., avaient aussi la tête petite ; au lieu que la plupart des oiseaux qui volent bien, petits et grands, ont la tête plus grosse à proportion. Exercit. in Cardanum, fol. 308, verso.
  5. MM. de l’Académie ont trouvé une fracture au crâne de l’un des sujets qu’ils ont disséqués. Mémoires pour servir à l’histoire naturelle des animaux, partie iii, p. 151.