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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/253

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pour le discernement de leur nourriture, et l’autruche a si peu de ce discernement qu’elle avale non seulement le fer, les cailloux, le verre, mais même le cuivre qui a une si mauvaise odeur, et que Vallisnieri en a vu une qui était morte pour avoir dévoré une grande quantité de chaux vive[1] : les gallinacés et autres granivores, qui n’ont pas les organes du goût fort sensibles, avalent bien de petites pierres, qu’ils prennent apparemment pour de petites graines[NdÉ 1], lorsqu’elles sont mêlées ensemble ; mais si on leur présente pour toute nourriture un nombre connu de ces petites pierres ils mourront de faim sans en avaler une seule[2] ; à plus forte raison ne toucheraient-ils point à la chaux vive : et l’on peut conclure de là, ce me semble, que l’autruche est un des oiseaux dont les sens du goût et de l’odorat, et même celui du toucher dans les parties internes de la bouche, sont les plus émoussés et les plus obtus ; en quoi il faut convenir qu’elle s’éloigne beaucoup de la nature des quadrupèdes.

Mais enfin que deviennent les substances dures, réfractaires et nuisibles que l’autruche avale sans choix et dans la seule intention de se remplir ? que deviennent surtout le cuivre, le verre, le fer ? sur cela les avis sont partagés, et chacun cite des faits à l’appui de son opinion. M. Perrault ayant trouvé soixante et dix doubles dans l’estomac d’un de ces animaux, remarqua qu’ils étaient la plupart usés et consumés presque aux trois quarts ; mais il jugea que c’était plutôt par leur frottement mutuel et celui des cailloux que par l’action d’aucun acide, vu que quelques-uns de ces doubles, qui étaient bossus, se trouvèrent fort usés du côté convexe, qui était aussi le plus exposé aux frottements, et nullement endommagés du côté concave ; d’où il conclut que dans les oiseaux la dissolution de la nourriture ne se fait pas seulement par des esprits subtils et pénétrants, mais encore par l’action organique du ventricule qui comprime et bat incessamment les aliments avec les corps durs que ces mêmes animaux ont l’instinct d’avaler ; et comme toutes les matières contenues dans cet estomac étaient teintes en vert, il conclut encore que la dissolution du cuivre s’y était faite non par un dissolvant particulier, ni par voie de digestion, mais de la même manière quelle se ferait si l’on broyait ce métal avec des herbes ou avec quelque liqueur acide ou salée : il ajoute que le cuivre, bien loin de se tourner en nourriture dans l’estomac de l’autruche, y agissait au contraire comme poison, et que toutes celles qui en avalaient beaucoup mouraient bientôt après[3].

  1. Vallisnieri, t. Ier, p. 239.
  2. Collection Académique, t. Ier de l’Histoire naturelle, p. 498.
  3. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 129.
  1. Il est possible que les gallinacés aient le goût assez obtus pour ne pas distinguer nettement un petit caillou d’une graine. Les cailloux leur sont, dans tous les cas, utiles, parce qu’ils facilitent la trituration des graines dans le gésier.