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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/252

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qu’ils n’avalassent quelquefois du fer rouge[NdÉ 1], pourvu que ce fût en petite quantité, et je ne pense pas avec cela que ce fût impunément ; il paraît qu’ils avalent tout ce qu’ils trouvent, jusqu’à ce que leurs grands estomacs soient entièrement pleins, et que le besoin de les lester par un volume suffisant de matière est l’une des principales causes de leur voracité. Dans les sujets disséqués par Warren[1] et par Ramby[2], les ventricules étaient tellement remplis et distendus que la première idée qui vint à ces deux anatomistes fut de douter que ces animaux eussent jamais pu digérer une telle surcharge de nourriture. Ramby ajoute que les matières contenues dans ces ventricules paraissent n’avoir subi qu’une légère altération. Vallisnieri trouva aussi le premier ventricule entièrement plein d’herbes, de fruits, de légumes, de noix, de cordes, de pierres, de verre, de cuivre jaune et rouge, de fer, d’étain, de plomb et de bois ; il y en avait entre autres un morceau, c’était le dernier avalé, puisqu’il était tout au-dessus, lequel ne pesait pas loin d’une livre[3]. MM. de l’Académie assurent que les ventricules des huit autruches qu’ils ont observées se sont toujours trouvés remplis de foin, d’herbes, d’orge, de fèves, d’os, de monnaies de cuivre et de cailloux, dont quelques-uns avaient la grosseur d’un œuf[4] ; l’autruche entasse donc les matières dans ses estomacs à raison de leur capacité et par la nécessite de les remplir ; et comme elle digère avec facilité et promptitude il est aisé de comprendre pourquoi elle est insatiable.

Mais quelque insatiable qu’elle soit, on me demandera toujours, non pas pourquoi elle consomme tant de nourriture[NdÉ 2], mais pourquoi elle avale des matières qui ne peuvent point la nourrir, et qui peuvent même lui faire beaucoup de mal ; je répondrai que c’est parce qu’elle est privée du sens du goût, et cela est d’autant plus vraisemblable que sa langue étant bien examinée par d’habiles anatomistes, leur a paru dépourvue de toutes ces papilles sensibles et nerveuses, dans lesquelles on croit, avec assez de fondement, que réside la sensation du goût[5] ; je croirais même qu’elle aurait le sens de l’odorat fort obtus, car ce sens est celui qui sert le plus aux animaux

  1. Transactions philosophiques, no 394.
  2. Ibidem, no 386.
  3. Opere di Vallisnieri, t. Ier, p. 240.
  4. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 129.
  5. Vallisnieri, t. Ier, p. 249.
  1. On ne voit pas trop pourquoi Buffon suppose que l’autruche peut avaler du fer rouge ; si obtus que soit, chez cet oiseau, le sens du toucher, il n’est guère permis d’admettre qu’il soit assez nul pour que l’animal n’ait pas la notion des températures très élevées. Mais la tendance de l’autruche à avaler tous les objets qu’elle trouve est poussée tellement loin qu’il doit lui arriver souvent d’ingérer des corps capables de la tuer mécaniquement. Cuvier dit avoir vu des autruches dont l’estomac était percé par des clous et déchiré par du verre, et Brehm « admet parfaitement que des autruches se soient tuées en avalant un morceau de chaux vive ».
  2. L’autruche n’absorbe, en réalité, pas plus de nourriture, proportionnellement à sa taille, que tout autre animal herbivore.