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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/255

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et acquiert une tendance à végéter, pour ainsi dire, et à prendre des formes analogues à celles des plantes, comme on le voit dans l’arbre de mars[1] ; et c’est en effet le seul sens raisonnable dans lequel on puisse dire que l’autruche digère le fer, et quand elle aurait l’estomac assez fort pour le digérer véritablement, ce n’est que par une erreur bien ridicule qu’on aurait pu attribuer à ce gésier, comme on a fait, la qualité d’un remède et la vertu d’aider la digestion, puisqu’on ne peut nier qu’il ne soit par lui-même un morceau tout à fait indigeste ; mais telle est la nature de l’esprit humain, lorsqu’il est une fois frappé de quelque objet rare et singulier, il se plaît à le rendre plus singulier encore, en lui attribuant des propriétés chimériques et souvent absurdes : c’est ainsi qu’on a prétendu que les pierres les plus transparentes qu’on trouve dans les ventricules de l’autruche avaient aussi la vertu, étant portées au cou, de faire de bonnes digestions ; que la tunique intérieure de son gésier avait celle de ranimer un tempérament affaibli et d’inspirer de l’amour ; son foie celle de guérir le mal caduc ; son sang celle de rétablir la vue ; la coque de ses œufs réduite en poudre celle de soulager les douleurs de la goutte et de la gravelle, etc. Vallisnieri a eu occasion de constater par ses expériences la fausseté de la plupart de ces prétendues vertus, et ses expériences sont d’autant plus décisives qu’il les a faites sur les personnes les plus crédules et les plus prévenues[2].

L’autruche est un oiseau propre et particulier à l’Afrique, aux îles voisines de ce continent[3], et à la partie de l’Asie qui confine à l’Afrique ; ces régions, qui sont le pays natal du chameau, du rhinocéros, de l’éléphant et de plusieurs autres grands animaux, devaient aussi être la patrie de l’autruche, qui est l’éléphant des oiseaux ; elles sont très fréquentes dans les montagnes situées au sud-ouest d’Alexandrie, suivant le docteur Pococke. Un missionnaire dit qu’on en trouve à Goa, mais beaucoup moins qu’en Arabie[4] ; Philostrate prétend même qu’Apollonius en trouva jusqu’au delà du Gange[5], mais c’était sans doute dans un temps où ce pays était moins peuplé qu’aujourd’hui : les voyageurs modernes n’en ont point aperçu dans ce même pays, sinon celles qu’on y avait menées d’ailleurs[6], et tous con-

  1. Mémoires de l’Académie des Sciences, années 1705, 1706 et suivantes. — Vallisnieri, t. Ier, p. 242 ; et il confirme encore son sentiment par les observations de Santorini sur des pièces de monnaie et des clous trouvés dans l’estomac d’une autruche qu’il avait disséquée à Venise, et par les expériences de l’Académie del Cimenta sur la digestion des oiseaux.
  2. Vallisnieri, t. Ier, p. 253.
  3. Le vorou-patra de Madagascar est une espèce d’autruche qui se retire dans les lieux déserts et pond des œufs d’une singulière grosseur. Hist. générale des voyages, t. VIII, p. 606, citant Flacourt.
  4. Voyage du Fr. Philippe, carme déchaussé, p. 378.
  5. Vita Apollonii, lib. iii.
  6. On en nourrit dans les ménageries du roi de Perse, selon Thévenot (t. II, p. 200), ce qui suppose qu’elles ne sont pas communes dans ce pays. — Sur la route d’Ispahan à Schiras on amena dans le caravansérail quatre autruches, dit Gemelli Carreri, t. II, p. 238.