Aller au contenu

Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

viennent qu’elles ne s’écartent guère au delà du trente-cinquième degré de latitude, de part et d’autre de la ligne ; et comme l’autruche ne vole point, elle est dans le cas de tous les quadrupèdes des parties méridionales de l’ancien continent, c’est-à-dire qu’elle n’a pu passer dans le nouveau : aussi n’en a-t-on point trouvé en Amérique, quoiqu’on ait donné son nom au touyou, qui lui ressemble en effet en ce qu’il ne vole point, et par quelques autres rapports, mais qui est d’une espèce différente, comme nous le verrons bientôt dans son histoire : par la même raison on ne l’a jamais rencontrée en Europe, où elle aurait cependant pu trouver un climat convenable à sa nature dans la Morée et au midi de l’Espagne et de l’Italie ; mais pour se rendre dans ces contrées il eût fallu ou franchir les mers qui l’en séparaient, ce qui lui était impossible, ou faire le tour de ces mers et remonter jusqu’au cinquantième degré de latitude pour revenir par le nord en traversant des régions très peuplées, nouvel obstacle doublement insurmontable à la migration d’un animal qui ne se plaît que dans les pays chauds et les déserts ; les autruches habitent en effet, par préférence, les lieux les plus solitaires et les plus arides, où il ne pleut presque jamais[1], et cela confirme ce que disent les Arabes, qu’elles ne boivent point[NdÉ 1] ; elles se réunissent dans ces déserts en troupes nombreuses, qui de loin ressemblent à des escadrons de cavalerie, et ont jeté l’alarme dans plus d’une caravane : leur vie doit être un peu dure dans ces solitudes vastes et stériles, mais elles y trouvent la liberté et l’amour ; et quel désert, à ce prix, ne serait un lieu de délices ? C’est pour jouir, au sein de la nature, de ces biens inestimables qu’elles fuient l’homme ; mais l’homme, qui sait le profit qu’il en peut tirer, les va chercher dans leurs retraites les plus sauvages ; il se nourrit de leurs œufs, de leur sang, de leur graisse, de leur chair, il se pare de leurs plumes ; il conserve peut-être l’espérance de les subjuguer tout à fait et de les mettre

  1. « Struthum generari in parte Africæ quâ non pluit », inquit Theophrastus, de Hist. plant. 44, apud Gesnerum, p. 74. Tous les voyageurs et les naturalistes sont d’accord sur ce point ; G. Warren est le seul qui ait fait un oiseau aquatique de l’autruche, l’animal le plus antiaquatique qu’il y ait : il convient qu’elle ne sait point nager ; mais elle a les jambes hautes et le cou long, ce qui lui donne le moyen de marcher dans l’eau et d’y saisir sa proie ; d’ailleurs, on a remarqué que sa tête avait quelque ressemblance avec celle de l’oie ; en faut-il davantage pour prouver que l’autruche est un oiseau de rivière ? Voyez Transact. philos., no 394. Un autre ayant ouï dire qu’on voyait en Abyssinie des autruches de la grosseur d’un âne, et ayant appris, d’ailleurs, qu’elles avaient le cou et les pieds d’un quadrupède, en a conclu et écrit qu’elles avaient le cou et les pieds d’un âne (Suidas). Il n’y a guère de sujet d’histoire naturelle qui ait fait dire autant d’absurdités que l’autruche.
  1. Les autruches boivent, au contraire, beaucoup. Brehm et Anderson disent que quand elles boivent on peut les approcher de très près sans les mettre en fuite. D’après Anderson, « quand les autruches sont en train de boire à une source, elles semblent ne rien voir, ne rien entendre. Nous pûmes ainsi tuer, en peu de temps, huit de ces superbes oiseaux ; ils arrivaient à la source vers midi ; je ne pouvais les approcher sans en être vu, et cependant elles me laissaient avancer à portée de fusil, et s’en allaient à petits pas. »