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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/258

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quelquefois jusqu’à vingt livres d’une seule autruche ; cette mantèque n’est autre chose que le sang de l’animal mêlé, non avec sa chair, comme on l’a dit, puisqu’on ne lui en trouvait point sur le ventre et la poitrine, où en effet il n’y en a jamais ; mais avec cette graisse, qui, dans les autruches grasses, forme, comme nous avons dit, une couche de plusieurs pouces sur les intestins ; les habitants du pays prétendent que la mantèque est un très bon manger, mais qu’elle donne le cours de ventre[1].

Les Éthiopiens écorchent les autruches et vendent leurs peaux aux marchands d’Alexandrie ; le cuir en est très épais[2], et les Arabes s’en faisaient autrefois des espèces de soubrevestes qui leur tenaient lieu de cuirasse et de bouclier[3]. Belon a vu une grande quantité de ces peaux toutes emplumées dans les boutiques d’Alexandrie[4] ; les longues plumes blanches de la queue et des ailes ont été recherchées dans tous les temps ; les anciens les employaient comme ornement et comme distinction militaire, et elles avaient succédé aux plumes de cygne ; car les oiseaux ont toujours été en possession de fournir aux peuples policés comme aux peuples sauvages une partie de leur parure. Aldrovande nous apprend qu’on voit encore à Rome deux statues anciennes, l’une de Minerve et l’autre de Pyrrhus, dont le casque est orné de plumes d’autruche[5] ; c’est apparemment de ces mêmes plumes qu’était composé le panache des soldats romains dont parle Polybe[6], et qui consistait en trois plumes noires ou rouges d’environ une coudée de haut ; c’est précisément la longueur des grandes plumes d’autruche. En Turquie, aujourd’hui, un janissaire[7], qui s’est signalé par quelques faits d’armes[8], a le droit d’en décorer son turban, et la sultane, dans le sérail, projetant de plus douces victoires, les admet dans sa parure avec complaisance. Au royaume de Congo, on mêle ces plumes avec celles du paon pour en faire des enseignes de guerre[9], et les dames d’Angleterre et d’Italie s’en font des espèces d’éventails[10] ; on sait assez quelle prodigieuse consommation il s’en fait en Europe pour les chapeaux, les casques, les habillements de théâtre, les ameublements, les dais, les cérémonies funèbres, et même pour la parure des femmes ; et il faut avouer quelles font un bon effet, soit par leurs couleurs naturelles ou artificielles, soit par leur mouvement doux et

  1. Voyage de Thévenot, t. Ier, p. 313.
  2. Schwenckfeld prétend que ce cuir épais est fait pour garantir l’autruche contre la rigueur du froid ; il n’a pas pris garde qu’elle n’habitait que les pays chauds. Voyez Aviarum Silesiæ, p. 350.
  3. Pollux, apud Gesnerum de Avibus, p. 744.
  4. Belon, Observat., fol. 96.
  5. Aldrov., de Avibus, t. Ier, p. 596.
  6. Polybe, Hist., lib. vi.
  7. Belon, Observat., fol. 96.
  8. Aldrov., de Avibus, t. Ier, p. 596.
  9. Histoire générale des Voyages, t. V, p. 76.
  10. Aldrov. ubi supra. — Willughby, p. 105.