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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/261

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que l’absurdité de cette intention retombât sur ceux qui ont voulu s’en rendre les interprètes, et qu’elles n’eussent d’autre but en cachant leur tête que de mettre du moins en sûreté la partie qui est en même temps la plus importante et la plus faible.

Les struthophages avaient une autre façon de prendre ces animaux ; ils se couvraient d’une peau d’autruche ; passant leur bras dans le cou, ils lui faisaient faire tous les mouvements que fait ordinairement l’autruche elle-même ; et par ce moyen ils pouvaient aisément les approcher et les surprendre[1] : c’est ainsi que les sauvages d’Amérique se déguisent en chevreuils pour prendre les chevreuils.

On s’est encore servi de chiens et de filets pour cette chasse, mais il paraît qu’on la fait plus communément à cheval ; et cela seul suffit pour expliquer l’antipathie qu’on a cru remarquer entre le cheval et l’autruche[NdÉ 1].

Lorsque celle-ci court, elle déploie ses ailes et les grandes plumes de sa queue[2], non pas qu’elle en tire aucun secours pour aller plus vite, comme je l’ai déjà dit, mais par un effet très ordinaire de la correspondance des muscles, et de la manière qu’un homme qui court agite ses bras, ou qu’un éléphant qui revient sur le chasseur dresse et déploie ses grandes oreilles[3] ; la preuve, sans réplique, que ce n’est point pour accélérer son mouvement que l’autruche relève ainsi ses ailes, c’est qu’elle les relève lors même qu’elle va contre le vent, quoique dans ce cas elles ne puissent être qu’un obstacle : la vitesse d’un animal n’est que l’effet de sa force, employée contre sa pesanteur ; et comme l’autruche est en même temps très pesante et très vite à la course, il s’ensuit qu’elle doit avoir beaucoup de force ; cependant, malgré sa force, elle conserve les mœurs des granivores ; elle n’attaque point les animaux plus faibles, rarement même se met-elle en défense contre ceux qui l’attaquent ; bordée sur tout le corps d’un cuir épais et dur, pourvue d’un

  1. Diod. Sicul. de Fabul. Antiq. gestis, lib. iv.
  2. Léon Afric., Description, lib. ix.
  3. Élien, Hist. animal.
  1. Les autruches déploient, pour éviter le chasseur, des ruses de toutes sortes. Le fait suivant, raconté par Anderson, est fort remarquable à cet égard. Une famille d’autruches ayant aperçu Anderson et ses hommes, « les vieux de la troupe commencèrent à fuir, les femelles en tête, puis les jeunes et, à quelque distance en arrière, le mâle. Il y avait quelque chose de touchant dans la sollicitude des parents pour leurs petits. Quand ils virent que nous les approchions, le mâle changea tout à coup de direction ; mais nous ne nous laissâmes pas détourner ; il activa sa course, laissa pendre ses ailes qui touchaient presque le sol, tourna autour de nous en cercles qui allaient se rétrécissant toujours, et finit par arriver à portée de pistolet. Alors il se jeta à terre, imita les allures d’un oiseau grièvement blessé, et fit semblant d’avoir besoin de toutes ses forces pour se relever. J’avais tiré sur lui ; je le crus blessé et je m’avançai ; mais sa manœuvre n’était qu’une ruse ; à mesure que je m’approchais, il se relevait lentement ; à la fin, il prit la fuite et alla rejoindre les femelles, qui, avec les jeunes, avaient déjà gagné une belle avance. »