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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/282

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trouveront à portée d’observer ces oiseaux de plus près, de les comparer, s’il est possible, et de nous en donner une connaissance plus distincte et plus précise. Les seules questions que l’on a faites sur des choses ignorées, ont valu souvent plus d’une découverte.

Le solitaire de l’île Rodrigue est un très gros oiseau, puisqu’il y a des mâles qui pèsent jusqu’à quarante-cinq livres : le plumage de ceux-ci est ordinairement mêlé de gris et de brun, mais, dans les femelles, c’est tantôt le brun et tantôt le jaune-blond qui domine. Carré dit que le plumage de ces oiseaux est d’une couleur changeante, tirant sur le jaune, ce qui convient à celui de la femelle ; et il ajoute qu’il lui a paru d’une beauté admirable.

Les femelles ont au-dessus du bec comme un bandeau de veuve ; leurs plumes se renflent des deux côtés de la poitrine en deux touffes blanches, qui représentent imparfaitement le sein d’une femme ; les plumes des cuisses s’arrondissent par le bout en forme de coquilles, ce qui fait un fort bon effet ; et comme si ces femelles sentaient leurs avantages, elles ont grand soin d’arranger leur plumage, de le polir avec le bec et de l’ajuster presque continuellement, en sorte qu’une plume ne passe pas l’autre ; elles ont, selon Leguat, l’air noble et gracieux tout ensemble ; et ce voyageur assure que souvent leur bonne mine leur a sauvé la vie[1]. Si cela est ainsi, et que le solitaire et le dronte soient de la même espèce, il faut admettre une très grande différence entre le mâle et la femelle quant à la bonne mine.

Cet oiseau a quelque rapport avec le dindon ; il en aurait les pieds et le bec, si ses pieds n’étaient pas plus élevés et son bec plus crochu ; il a aussi le cou plus long proportionnellement, l’œil noir et vif, la tête sans crête ni huppe et presque point de queue ; son derrière, qui est arrondi à peu près comme la croupe d’un cheval, est revêtu de ces plumes qu’on appelle couvertures.

Le solitaire ne peut se servir de ses ailes pour voler, mais elles ne lui sont pas inutiles à d’autres égards ; l’os de l’aileron se renfle à son extrémité en une espèce de bouton sphérique qui se cache dans les plumes et lui sert à deux usages ; premièrement pour se défendre, comme il fait aussi avec le bec ; en second lieu pour faire une espèce de battement ou de moulinet en pirouettant vingt ou trente fois du même côté dans l’espace de quatre à cinq minutes ; c’est ainsi, dit-on, que le mâle rappelle sa compagne avec un bruit qui a du rapport à celui d’une crécelle et s’entend de deux cents pas.

On voit rarement ces oiseaux en troupes, quoique l’espèce soit assez nombreuse ; quelques-uns disent même qu’on n’en voit guère deux ensemble[2].

Ils cherchent les lieux écartés pour faire leur ponte, ils construisent leur

  1. Voyez la fig. (p. 98) du Voyage de Leguat.
  2. Hist. gén. des Voyages, t. IX, p. 3, citant le Voyage de Carré.