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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/288

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L’OUTARDE


La première chose que l’on doit se proposer lorsqu’on entreprend d’éclaircir l’histoire d’un animal, c’est de faire une critique sévère de sa nomenclature, de démêler exactement les différents noms qui lui ont été donnés dans toutes les langues et dans tous les temps, et de distinguer, autant qu’il est possible, les espèces différentes auxquelles les mêmes noms ont été appliqués ; c’est le seul moyen de tirer parti des connaissances des anciens, et de les lier utilement aux découvertes des modernes, et par conséquent le seul moyen de faire de véritables progrès en histoire naturelle ; en effet, comment, je ne dis pas un seul homme, mais une génération entière, plusieurs générations de suite, pourraient-elles faire complètement l’histoire d’un seul animal ? presque tous les animaux craignent l’homme et le fuient ; le caractère de supériorité que la main du Très-Haut a gravé sur son front leur inspire plus de frayeur que de respect ; ils ne soutiennent point ses regards, ils se défient de ses embûches, ils redoutent ses armes ; ceux même qui pourraient se défendre par la force ou résister par leur masse se retirent dans des déserts que nous ne daignons pas leur disputer, ou se retranchent dans des forêts impénétrables ; les petits, sûrs de nous échapper par leur petitesse, et rendus plus hardis par leur faiblesse même, vivent chez nous malgré nous, se nourrissent à nos dépens, quelquefois même de notre propre substance, sans nous être mieux connus ; et parmi le grand nombre de classes intermédiaires renfermées entre ces deux classes extrêmes, les uns se creusent des retraites souterraines, les autres s’enfoncent dans la profondeur des eaux, d’autres se perdent dans le vague des airs, et tous disparaissent devant le tyran de la nature : comment donc pourrions-nous dans un court espace de temps voir tous les animaux dans toutes les situations où il faut les avoir vus pour connaître à fond leur naturel, leurs mœurs, leur instinct, en un mot, les principaux faits de leur histoire ? On a beau rassembler à grands frais des suites nombreuses de ces animaux, conserver avec soin leur dépouille extérieure, y joindre leurs squelettes artistement montés, donner à chaque individu son attitude propre et son air naturel, tout cela ne représente que la nature morte, inanimée, superficielle ; et si quelque souverain concevait l’idée vraiment grande de concourir à l’avancement de cette belle partie de la science, en formant de vastes ménageries, et réunissant sous les