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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/289

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yeux des observateurs un grand nombre d’espèces vivantes, on y prendrait encore des idées imparfaites de la nature ; la plupart des animaux intimidés par la présence de l’homme, importunés par ses observations, tourmentés d’ailleurs par l’inquiétude inséparable de la captivité, ne montreraient que des mœurs altérées, contraintes et peu dignes des regards d’un philosophe, pour qui la nature libre, indépendante, et si l’on veut sauvage, est la seule belle nature.

Il faut donc, pour connaître les animaux avec quelque exactitude, les observer dans l’état sauvage, les suivre jusque dans les retraites qu’ils se sont choisies eux-mêmes, jusque dans ces antres profonds, et sur ces rochers escarpés où ils vivent en pleine liberté ; il faut même, en les étudiant, faire en sorte de n’en être point aperçu : car ici l’œil de l’observateur, s’il n’est en quelque façon invisible, agit sur le sujet observé et l’altère réellement ; mais comme il est fort peu d’animaux, surtout parmi ceux qui sont ailés, qu’il soit facile d’étudier ainsi, et que les occasions de les voir agir d’après leur naturel véritable, et montrer leurs mœurs franches et pures de toute contrainte, ne se présentent que de loin en loin, il s’ensuit qu’il faut des siècles et beaucoup de hasards heureux pour amasser tous les faits nécessaires, une grande attention pour rapporter chaque observation à son véritable objet, et conséquemment pour éviter la confusion des noms qui de toute nécessité entraînerait celle des choses ; sans ces précautions l’ignorance la plus absolue serait préférable à une prétendue science, qui ne serait au fond qu’un tissu d’incertitudes et d’erreurs ; l’outarde[NdÉ 1] nous en offre un exemple frappant. Les Grecs lui avaient donné le nom d’otis ; Aristote en parle en trois endroits sous ce nom[1], et tout ce qu’il en dit convient exactement à notre outarde ; mais les Latins, trompés apparemment par la ressemblance des mots, l’ont confondue avec l’otus, qui est un oiseau de nuit. Pline ayant dit, avec raison, que l’oiseau appelé otis par les

  1. Historia animalium, lib. ii, cap. xvii ; lib. vi, cap. vi, et lib. ix, cap. xxxiii.
  1. Otis tarda L. [Note de Wikisource : actuellement Otis tarda Linnæus, vulgairemnt grande outarde ou outarde barbue]. Les Otis sont des oiseaux de l’ordre des Échassiers, de la famille des Alectoridés. Les oiseaux qui composent cette famille ne peuvent guère être considérés comme des Échassiers véritables ; ils sont, en réalité, intermédiaires aux Échassiers et aux Palmipèdes. Ils se rattachent aux premiers par la longueur de leurs pattes, et aux seconds par la forme de leur bec et par le genre de vie. Chez les outardes le bec est un peu plus court que la tête, élevé et large au niveau de la racine, puis déprimé dans le point où s’ouvrent les fosses nasales, enfin renflé et convexe jusqu’à la pointe, qui est échancrée. Les bords de la mandibule supérieure dépassent ceux de la mandibule inférieure. Les ailes sont fortes, pointues, mais courtes et incapables de soutenir un vol de longue durée ou rapide ; elles servent à l’oiseau d’armes défensives et sont munies, dans beaucoup d’espèces de la famille, d’un fort ergot situé à l’extrémité du pouce. Les pattes sont relativement longues, fortes, adaptées à la course. Les doigts sont courts ; ils sont réunis soit tous ensemble, soit seulement les deux externes par une courte membrane. Les tarses sont couverts d’un réseau de petites écailles hexagonales. On considère souvent comme un caractère générique essentiel des Otis la présence, chez les mâles adultes, de touffes de plumes étroites et allongées, situées de chaque côté de la racine de la mandibule inférieure.