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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/337

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imprévue, s’éloigne et va chercher une proie plus facile ; elle paraît avoir toutes les qualités du bon cœur, mais, ce qui ne fait pas autant d’honneur au surplus de son instinct, c’est que si par hasard on lui a donné à couver des œufs de cane ou de tout autre oiseau de rivière, son affection n’est pas moindre pour ces étrangers qu’elle le serait pour ses propres poussins ; elle ne voit pas qu’elle n’est que leur nourrice ou leur bonne et non pas leur mère, et lorsqu’ils vont, guidés par la nature, s’ébattre ou se plonger dans la rivière voisine, c’est un spectacle singulier de voir la surprise, les inquiétudes, les transes de cette pauvre nourrice qui se croit encore mère, et qui, pressée du désir de les suivre au milieu des eaux, mais retenue par une répugnance invincible pour cet élément, s’agite incertaine sur le rivage, tremble et se désole, voyant toute sa couvée dans un péril évident, sans oser lui donner de secours.

Il serait impossible de suppléer à tous les soins de la poule pour élever ses petits, si ces soins supposaient nécessairement un degré d’attention et d’affection égal à celui de la mère elle-même ; il suffit, pour réussir, de remarquer les principales circonstances de la conduite de la poule et ses procédés à l’égard de ses petits, et de les imiter autant qu’il est possible. Par exemple, ayant observé que le principal but des soins de la mère est de conduire ses poussins dans des lieux où ils puissent trouver à se nourrir, et de les garantir du froid et de toutes les injures de l’air, on a imaginé le moyen de leur procurer tout cela, avec encore plus d’avantage que la mère ne peut le faire. S’ils naissent en hiver, on les tient pendant un mois ou six semaines dans une étuve échauffée au même degré que les fours d’incubation ; seulement on les en tire cinq ou six fois par jour pour leur donner à manger au grand air, et surtout au soleil ; la chaleur de l’étuve favorise leur développement, l’air extérieur les fortifie et ils prospèrent : de la mie de pain, des jaunes d’œufs, de la soupe, du millet sont leur première nourriture ; si c’est en été, on ne les tient dans l’étuve que trois ou quatre jours, et dans tous les temps on ne les tire de l’étuve que pour les faire passer dans la poussinière. C’est une espèce de cage carrée, fermée par devant d’un grillage en fil de fer ou d’un simple filet, et par-dessus d’un couvercle à charnière ; c’est dans cette cage que les poussins trouvent à manger ; mais lorsqu’ils ont mangé et couru suffisamment, il leur faut un abri où ils puissent se réchauffer et se reposer, et c’est pour cela que les poulets qui sont menés par une mère ont coutume de se rassembler alors sous ses ailes. M. de Réaumur a imaginé pour ce même usage une mère artificielle : c’est une boîte doublée de peau de mouton dont la base est carrée et le dessus incliné comme le dessus d’un pupitre ; il place cette boîte à l’un des bouts de sa poussinière, de manière que les poulets puissent y entrer de plain-pied et en faire le tour au moins de trois côtés, et il l’échauffe par dessous au moyen d’une chaufferette qu’on renouvelle selon le besoin ; l’inclinaison du couvercle de cette espèce de