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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/362

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meilleures couveuses ; elles se dévouent à cette occupation avec tant d’ardeur et d’assiduité, qu’elles mourraient d’inanition sur leurs œufs, si l’on n’avait le soin de les lever une fois tous les jours pour leur donner à boire et à manger ; cette passion de couver est si forte et si durable, qu’elles font quelquefois deux couvées de suite et sans aucune interruption ; mais, dans ce cas, il faut les soutenir par une meilleure nourriture : le mâle a un instinct bien contraire ; car s’il aperçoit sa femelle couvant, il casse ses œufs, qu’il voit apparemment comme un obstacle à ses plaisirs[1], et c’est peut-être la raison pourquoi la femelle se cache alors avec tant de soin.

Le temps venu où ces œufs doivent éclore, les dindonneaux percent avec leur bec la coquille de l’œuf qui les renferme ; mais cette coquille est quelquefois si dure ou les dindonneaux si faibles, qu’ils périraient si on ne les aidait à la briser, ce que néanmoins il ne faut faire qu’avec beaucoup de circonspection, et en suivant autant qu’il est possible les procédés de la nature ; ils périraient encore bientôt, pour peu que dans ces commencements on les maniât avec rudesse, qu’on leur laissât endurer la faim, ou qu’on les exposât aux intempéries de l’air ; le froid, la pluie, et même la rosée, les morfond ; le grand soleil les tue presque subitement, quelquefois même ils sont écrasés sous les pieds de leur mère : voilà bien des dangers pour un animal si délicat ; et c’est pour cette raison, et à cause de la moindre fécondité des poules d’Inde en Europe, que cette espèce est beaucoup moins nombreuse que celle des poules ordinaires.

Dans les premiers temps il faut tenir les jeunes dindons dans un lieu chaud et sec où l’on aura étendu une litière de fumier long, bien battue ; et lorsque dans la suite on voudra les faire sortir en plein air, ce ne sera que par degrés et en choisissant les plus beaux jours.

L’instinct des jeunes dindonneaux est d’aimer mieux à prendre leur nourriture dans la main que de toute autre manière : on juge qu’ils ont besoin d’en prendre lorsqu’on les entend piauler, et cela leur arrive fréquemment ; il faut leur donner à manger quatre ou cinq fois par jour ; leur premier aliment sera du vin et de l’eau qu’on leur soufflera dans le bec ; on y mêlera ensuite un peu de mie de pain ; vers le quatrième jour, on leur donnera les œufs gâtés de la couvée, cuits et hachés d’abord avec de la mie de pain, et ensuite avec des orties ; ces œufs gâtés, soit de dindes, soit de poules, seront pour eux une nourriture très salutaire[2] ; au bout de dix à douze jours on supprime les œufs, et on mêle les orties hachées avec du millet ou avec la farine de turquis, d’orge, de froment ou de blé sarrasin, ou bien, pour épargner le grain sans faire tort aux dindonneaux, avec le lait caillé, la bardane, un peu de camomille puante, de graine d’ortie et du son :

  1. Sperling, loco citato.
  2. Voyez Journal économique, août 1757, p. 69 et 73.