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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/366

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figure dans le dindon non plus que dans la poule, l’oie, le canard, le pigeon, etc. : son usage est, selon M. Petit, d’absorber les rayons de lumière qui partent des objets qui sont à côté de la tête et qui entrent directement dans les yeux[1] ; mais, quoi qu’il en soit de cette idée, il est certain que l’organe de la vue est plus composé dans les oiseaux que dans les quadrupèdes ; et comme nous avons prouvé ailleurs que les oiseaux l’emportaient par ce sens sur les autres animaux, et que nous avons même eu occasion de remarquer plus haut combien la poule d’Inde avait la vue perçante, on ne peut guère se refuser à cette conjecture si naturelle que la supériorité de l’organe de la vue, dans les oiseaux, est due à la différence de la structure de leurs yeux et à l’artifice particulier de leur organisation : conjecture très vraisemblable, mais de laquelle néanmoins la valeur précise ne pourra être déterminée que par l’étude approfondie de l’anatomie comparée et de la mécanique animale.

Si l’on compare les témoignages des voyageurs, on ne peut s’empêcher de reconnaître que les dindons sont originaires d’Amérique et des îles adjacentes, et qu’avant la découverte de ce nouveau continent ils n’existaient point dans l’ancien.

Le P. du Tertre remarque qu’ils sont dans les Antilles comme dans leur pays naturel, et que, pourvu qu’on en ait un peu de soin, ils couvent trois à quatre fois l’année[2] : or, c’est une règle générale pour tous les animaux, qu’ils multiplient plus dans le climat qui leur est propre que partout ailleurs ; ils y deviennent aussi plus grands et plus forts, et c’est précisément ce que l’on observe dans les dindons d’Amérique. On en trouve une multitude prodigieuse chez les Illinois, disent les missionnaires jésuites ; ils y vont par troupes de cent, quelquefois même de deux cents ; ils sont beaucoup plus gros que ceux que l’on voit en France, et pèsent jusqu’à trente-six livres[3] ; Josselin dit jusqu’à soixante livres[4] : ils ne se trouvent pas en moindre quantité dans le Canada (où, selon le P. Théodat, récollet, les sauvages les appelaient ondettoutaques), dans le Mexique, dans la Nouvelle-Angleterre, dans cette vaste contrée qu’arrose le Mississipi, et chez les Brésiliens où ils sont connus sous le nom de arignanoussou[5]. Le docteur Hans Sloane en a vu à la Jamaïque : il est à remarquer que dans presque tous ces pays les dindons sont dans l’état de sauvages, et qu’ils y fourmillent partout, à quelque distance néanmoins des habitations, comme s’ils ne cédaient le terrain que pied à pied aux colons européens.

Mais si la plupart des voyageurs et témoins oculaires s’accordent à

  1. Ibidem, année 1735, p. 123.
  2. Histoire générale des Antilles, t. II, p. 266.
  3. Lettres édifiantes, XXIIIe Recueil, p. 237.
  4. Raretés de la Nouvelle-Angleterre.
  5. Voyage au Brésil, recueilli par de Léry, p. 171.