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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/368

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(gallinæ Numidicæ guttata) ; mais il est évident, et tout le monde convient aujourd’hui, que ces poules africaines ne sont autre chose que nos peintades, qui en effet nous viennent d’Afrique et sont très différentes des dindons ; ainsi il serait inutile de discuter plus en détail cette opinion d’Aldrovande, qui porte avec elle sa réfutation, et que néanmoins M. Linnæus semble avoir voulu perpétuer ou renouveler en appliquant au dindon le nom de meleagris.

Ray, qui fait venir les dindons d’Afrique ou des Indes orientales, semble s’être laissé tromper par les noms : celui d’oiseau de Numidie, qu’il adopte, suppose une origine africaine, et ceux de turkey et d’oiseau de Calicut, une origine asiatique ; mais un nom n’est pas toujours une preuve, surtout un nom populaire appliqué par des gens peu instruits, et même un nom scientifique appliqué par des savants, qui ne sont pas toujours exempts de préjugés : d’ailleurs, Ray lui-même avoue, d’après Hans Sloane, que ces oiseaux se plaisent beaucoup dans les pays chauds de l’Amérique, et qu’ils y multiplient prodigieusement[1].

À l’égard de Gesner, il dit, à la vérité, que la plupart des anciens, et entre autres Aristote et Pline, n’ont pas connu les dindons ; mais il prétend que Élien les a eus en vue dans le passage suivant : In India gallinacei nascuntur maximi ; non rubram habent cristam, ut nostri, sed ita variam et floridam veluti coronam floribus contextam ; caudæ pennas non inflexas habent, neque revolutas in orbem, sed latas ; quas cum non erigunt, ut pavones trahunt : eorum pennæ smaragdi colorem ferunt. « Les Indes produisent de très gros coqs dont la crête n’est point rouge comme celle des nôtres, mais de couleurs variées, comme serait une couronne de fleurs ; leur queue n’a pas non plus de plumes recourbées en arc ; lorsqu’ils ne la relèvent pas, ils la portent comme des paons (c’est-à-dire horizontalement) ; leurs pennes sont de la couleur de l’émeraude. » Mais je ne vois pas que ce passage soit applicable aux dindons : 1o la grosseur de ces coqs ne prouve point que ce soient des dindons, car on sait qu’il y a en effet dans l’Asie, et notamment en Perse et au Pégu, de véritables coqs qui sont très gros ;

2o Cette crête, de couleurs variées, suffirait seule pour exclure les dindons qui n’eurent jamais de crête ; car il s’agit ici non d’une aigrette de plumes, mais d’une crête véritable analogue à celle du coq, quoique de couleur différente ;

3o Le port de la queue, semblable à celui du paon, ne prouve rien non plus, parce que Élien dit positivement que l’oiseau dont il s’agit porte sa queue comme le paon, lorsqu’il ne la relève point ; et s’il l’eût relevée comme le paon, en faisant la roue, Élien n’aurait pu oublier de faire men-

  1. Synopsis avium, Appendix, p. 182.