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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/369

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tion d’un caractère aussi singulier, et d’un trait de ressemblance si marqué avec le paon, auquel il le comparait dans ce moment même ;

4o Enfin les pennes, couleur d’émeraude, ne sont rien moins que suffisantes pour déterminer ici l’espèce des dindons, bien que quelques-unes de leurs plumes aient des reflets smaragdins ; car on sait que le plumage de plusieurs autres oiseaux a la même couleur et les mêmes reflets.

Belon ne me paraît pas mieux fondé que Gesner à retrouver les dindons dans les ouvrages des anciens ; Columelle avait dit dans son livre De re rusticâ[1] : Africana est meleagridi similis, nisi quod rutilam galeam et cristam capite gerit, quæ utraque in meleagride sunt cærulea. « La poule d’Afrique ressemble à la méléagride, excepté qu’elle a la crête et le casque rouges, rutila, au lieu que ces mêmes parties sont bleues dans la méléagride. » Belon a pris cette poule africaine pour la peintade, et la méléagride pour le dindon ; mais il est évident, par le passage même, que Columelle parle ici de deux variétés de la même espèce, puisque les deux oiseaux dont il s’agit se ressemblent de tout point, excepté par la couleur, laquelle est en effet sujette à varier dans la même espèce, et notamment dans celle de la peintade, où les mâles ont les appendices membraneux qui leur pendent aux deux côtés des joues, de couleur bleue, tandis que les femelles ont ces mêmes appendices de couleur rouge : d’ailleurs, comment supposer que Columelle, ayant à désigner deux espèces aussi différentes que celles de la peintade et du dindon, se fût contenté de les distinguer par une variété aussi superficielle que celle de la couleur d’une petite partie, au lieu d’employer des caractères tranchés qui lui sautaient aux yeux ?

C’est donc mal à propos que Belon a cru pouvoir s’appuyer de l’autorité de Columelle pour donner aux dindons une origine africaine ; et ce n’est pas avec plus de succès qu’il a cherché à se prévaloir du passage suivant de Ptolémée pour leur donner une origine asiatique : Triglyphon Regia in quâ galli gallinacei barbati esse dicuntur[2]. Cette Triglyphe est en effet située dans la presqu’île au delà du Gange ; mais on n’a aucune raison de croire que ces coqs barbus soient des dindons, car : 1o il n’y a pas jusqu’à l’existence de ces coqs qui ne soit incertaine, puisqu’elle n’est alléguée que sur la loi d’un on dit (dicuntur) ; 2o on ne peut donner aux dindons le nom de coqs barbus ; comme je l’ai dit plus haut, ce mot de barbe appliqué à un oiseau ne pouvant signifier qu’une touffe de plumes ou de poils placés sous le bec, et non ce bouquet de crins durs que les dindons ont au bas du cou ; 3o Ptolémée était astronome et géographe, mais point du tout naturaliste ; et il est visible qu’il cherchait à jeter quelque intérêt dans ses Tables géographiques, en y mêlant sans beaucoup de critique les singularités de chaque pays ; dans la même page où il fait mention de ces coqs barbus, il parle des trois

  1. Lib. viii, cap. ii.
  2. Geographia, lib. viii, cap. ii, tabula xi, Asiæ.