Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/38

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ils copient les inflexions, les tons de la voix humaine et de nos instruments. N’est-il pas singulier que, dans tous les pays peuplés et policés, la plupart des oiseaux aient la voix charmante et le chant mélodieux, tandis que, dans l’immense étendue des déserts de l’Afrique et de l’Amérique, où l’on n’a trouvé que des hommes sauvages, il n’existe aussi que des oiseaux criards, et qu’à peine on puisse citer quelques espèces dont la voix soit douce et le chant agréable ? Doit-on attribuer cette différence à la seule influence du climat ? l’excès du froid et du chaud produit, à la vérité, des qualités excessives dans la nature des animaux, et se marque souvent à l’extérieur par des caractères durs et par des couleurs fortes[NdÉ 1]. Les quadrupèdes dont la robe est variée et empreinte de couleurs opposées, semée de taches rondes ou rayée de bandes longues, tels que les panthères, les léopards, les zèbres, les civettes, sont tous des animaux des climats les plus chauds ; presque tous les oiseaux de ces mêmes climats brillent à nos yeux des plus vives couleurs, au lieu que dans les pays tempérés les teintes sont plus faibles, plus nuancées, plus douces : sur trois cents espèces d’oiseaux que nous pouvons compter dans notre climat, le paon, le coq, le loriot, le martin-pêcheur, le chardonneret, sont presque les seuls que l’on puisse citer pour la variété des couleurs, tandis que la nature semble avoir épuisé ses pinceaux sur le plumage des oiseaux de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Inde. Ces quadrupèdes, dont la robe est si belle, ces oiseaux dont le plumage éclate des plus vives couleurs, ont en même temps la voix dure et sans inflexions, les sons rauques et discordants, le cri désagréable et même effrayant[NdÉ 2] ; on ne peut douter que l’influence du climat ne soit la cause principale de ces effets, mais ne doit-on pas y joindre, comme cause secondaire, l’influence de l’homme ? Dans tous les animaux retenus en domesticité ou détenus en captivité, les couleurs naturelles et primitives ne s’exaltent

  1. La voix des oiseaux se perfectionne, comme toutes les autres qualités des animaux, par sélection sexuelle. Chez les oiseaux, le mâle est habituellement beaucoup mieux doué que la femelle au point de vue de la couleur, de la voix, de la force, etc. Cela résulte de ce que les femelles choisissent toujours, à l’époque des amours, les mâles les plus beaux, les plus forts ou ceux qui chantent le mieux. Il en résulte que les individus les mieux doués ont plus de chance que les autres de laisser une descendance, et que les qualités désirées par les femelles vont toujours en augmentant d’intensité de génération en génération. En ce qui concerne la voix, les efforts faits par les mâles au moment où ils courtisent leurs femelles prennent une part manifeste à l’évolution ascendante des qualités du chant.
  2. Il est, en effet, exact que chez les oiseaux la voix et la coloration ne sont jamais également développées dans une même espèce. Cela résulte, sans nul doute, de ce que les femelles recherchent toujours de préférence les individus les mieux doués au point de vue non de l’ensemble des qualités, mais de l’une de ces dernières, et notamment de celle qui est déjà prépondérante. Supposons, par exemple, que dans une espèce quelconque, par suite de circonstances que nous n’avons pas à envisager ici, la voix soit plus développée que la couleur, on peut affirmer, sans crainte de se tromper, que c’est toujours au chant et non à la coloration que les femelles prêteront attention. Par conséquent, dans cette espèce, c’est la voix qui se perfectionnera par sélection, et non la couleur.