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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/39

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jamais, et paraissent ne varier que pour se dégrader, se nuancer et se radoucir[NdÉ 1] ; on en a vu nombre d’exemples dans les quadrupèdes ; il en est de même dans les oiseaux domestiques ; les coqs et les pigeons ont encore plus varié pour les couleurs que les chiens ou les chevaux. L’influence de l’homme sur la nature s’étend bien au delà de ce qu’on imagine ; il influe directement et presque immédiatement sur le naturel, sur la grandeur et la couleur des animaux qu’il propage et qu’il s’est soumis ; il influe médiatement et de plus loin sur tous les autres, qui, quoique libres, habitent le même climat. L’homme a changé, pour sa plus grande utilité, dans chaque pays la surface de la terre ; les animaux qui y sont attachés, et qui sont forcés d’y chercher leur subsistance, qui vivent, en un mot, sous ce même climat et sur cette même terre dont l’homme a changé la nature, ont dû changer aussi et se modifier ; ils ont pris par nécessité plusieurs habitudes qui paraissent faire partie de leur nature ; ils en ont pris d’autres par crainte qui ont altéré, dégradé leurs mœurs ; ils en ont pris par imitation ; enfin ils en ont reçu par l’éducation, à mesure qu’ils en étaient plus ou moins susceptibles ; le chien s’est prodigieusement perfectionné par le commerce de l’homme, sa férocité naturelle s’est tempérée et a cédé à la douceur de la reconnaissance et de l’attachement dès qu’en lui donnant sa subsistance l’homme a satisfait à ses besoins : dans cet animal, les appétits les plus véhéments dérivent de l’odorat et du goût, deux sens qu’on pourrait réunir en un seul, qui produit les sensations dominantes du chien et des autres animaux carnassiers, desquels il ne diffère que par un point de sensibilité que nous avons augmenté ; une nature moins forte, moins fière, moins féroce que celle du tigre, du léopard ou du lion, un naturel dès lors plus flexible, quoique avec des appétits tout aussi véhéments, s’est néanmoins modifié, ramolli par les impressions douces du commerce des hommes, dont l’influence n’est pas aussi grande sur les autres animaux, parce que les uns ont une nature revêche, impénétrable aux affections douces ; que les autres sont durs, insensibles ou trop défiants ou trop timides ; que tous, jaloux de leur liberté, fuient l’homme, et ne le voient que comme leur tyran ou leur destructeur.

L’homme a moins d’influence sur les oiseaux que sur les quadrupèdes, parce que leur nature est plus éloignée, et qu’ils sont moins susceptibles des sentiments d’attachement et d’obéissance ; les oiseaux que nous appelons domestiques, ne sont que prisonniers ; ils ne nous rendent aucun service

  1. Chez les animaux domestiques ou retenus en captivité, les couleurs ne se développent pas parce que la lutte sexuelle est beaucoup moindre que chez les animaux sauvages. La femelle est presque toujours obligée d’accepter le mâle qu’on lui offre ; son choix n’est pas libre. Mais dès que plusieurs mâles d’une même espèce d’oiseaux, des serins, par exemple, sont renfermés dans une même cage avec une seule femelle, il est facile de constater que celle-ci a des préférences manifestes pour certains d’entre eux, et que ces derniers sont toujours les meilleurs chanteurs.