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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/388

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ont aussi des habitudes communes : dans les deux espèces il faut plusieurs femelles au mâle ; les femelles ne font point de nids, elles couvent leurs œufs avec beaucoup d’assiduité, et montrent une grande affection pour leurs petits quand ils sont éclos. Mais si l’on fait attention que le coq de bruyère n’a point de membranes sous le bec et point d’éperons aux pieds, que ses pieds sont couverts de plumes, et ses doigts bordés d’une espèce de dentelure ; qu’il a dans la queue deux pennes de plus que le coq ; que celle queue ne se divise point en deux plans comme celle du coq, mais qu’il la relève en éventail comme le dindon ; que la grandeur totale de cet oiseau est quadruple de celle des coqs ordinaires[1] ; qu’il se plaît dans les pays froids, tandis que les coqs prospèrent beaucoup mieux dans les pays tempérés ; qu’il n’y a point d’exemple avéré du mélange de ces deux espèces ; que leurs œufs ne sont pas de la même couleur ; enfin, si l’on se souvient des preuves par lesquelles je crois avoir établi que l’espèce du coq est originaire des contrées tempérées de l’Asie, où les voyageurs n’ont presque jamais vu de coqs de bruyère, on ne pourra guère se persuader que ceux-ci soient la souche de ceux-là, et l’on reviendra bientôt d’une erreur occasionnée, comme tant d’autres, par une fausse dénomination.

Pour moi, afin d’éviter toute équivoque, je donnerai dans cet article au coq de bruyère le nom de tétras, formé de celui de tetrao, qui me paraît être son plus ancien nom latin, et qu’il conserve encore aujourd’hui dans la Sclavonie, où il s’appelle tetrez. On pourrait aussi lui donner celui de cedron tiré de cedrone, nom sous lequel il est connu en plusieurs contrées d’Italie : les Grisons l’appellent stolzo, du mot allemand stolz, qui signifie quelque chose de superbe ou d’imposant, et qui est applicable au coq de bruyère à cause de sa grandeur et de sa beauté ; par la même raison, les habitants des Pyrénées lui donnent le nom de paon sauvage ; celui d’urogallus, sous lequel il est souvent désigné par les modernes qui ont écrit en latin, vient de ur, our, urus, qui veut dire sauvage, et dont s’est formé en allemand le mot auer-hahn ou ourh-hahn, lequel, selon Frisch, désigne un oiseau qui se tient dans les lieux peu fréquentés et de difficile accès ; il signifie aussi un oiseau de marais[2], et c’est de là que lui est venu le nom riet-hahn, coq de marais, qu’on lui donne dans la Souabe et même en Écosse[3].

Aristote ne dit que deux mots d’un oiseau qu’il appelle tetrix, et que les Athéniens appelaient ourax ; cet oiseau, dit-il, ne niche point sur les arbres ni sur la terre, mais parmi les plantes basses et rampantes. Tetrix quam Athenienses vocant οὔραγα, nec arbori, nec terra nidum suum committit, sed frutici[4]. Sur quoi il est à propos de remarquer que l’expression

  1. Aldrovande, Ornithologie, t. II, p. 61.
  2. Aue désigne, selon Frisch, une grande place humide et basse.
  3. Gesner, de Avibus, p. 231 et 477.
  4. Historia animalium, lib. vi, cap. i.