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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/390

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un trait caractérisé de ressemblance avec la méléagride ; ce sont les couleurs de son plumage, dont le fond est gris cendré, semé de taches en forme de gouttes[1] : c’est bien là le plumage de la peintade, appelée par quelques-uns gallina guttata[2].

Mais, quoi qu’il en soit de toutes ces conjectures, il est hors de doute que les deux espèces de tetrao de Pline sont de vrais tétras ou coqs de bruyère[3] : le beau noir lustré de leur plumage, leurs sourcils couleur de feu, qui représentent des espèces de flammes dont leurs yeux sont surmontés, leur séjour dans les pays froids et sur les hautes montagnes, la délicatesse de leur chair, sont autant de propriétés qui se rencontrent dans le grand et le petit tétras, et qui ne se trouvent réunies dans aucun autre oiseau. Nous apercevons même, dans la description de Pline, les traces d’une singularité qui n’a été connue que par très peu de modernes : morinutur contumaciâ, dit cet auteur, spiritu revocato[4], ce qui se rapporte à une observation remarquable que Frisch a insérée dans l’histoire de cet oiseau[5] ; ce naturaliste n’ayant point trouvé de langue dans le bec d’un coq de bruyère mort, et lui ayant ouvert le gosier, y retrouva la langue, qui s’y était retirée avec toutes ses dépendances ; et il faut que cela arrive le plus ordinairement, puisque c’est une opinion commune parmi les chasseurs que les coqs de bruyère n’ont point de langue : peut-être en est-il de même de cet aigle noir dont Pline fait mention[6], et de cet oiseau du Brésil dont parle Scaliger[7], lequel passait aussi pour n’avoir point de langue, sans doute sur le rapport de quelques voyageurs crédules ou de chasseurs peu attentifs, qui ne voient presque jamais les animaux que morts ou mourants, et surtout parce qu’aucun observateur ne leur avait regardé dans le gosier.

L’autre espèce de tetrao dont Pline parle au même endroit est beaucoup plus grande, puisqu’elle surpasse l’outarde et même le vautour, dont elle a le plumage, et qu’elle ne le cède qu’à l’autruche ; du reste, c’est un oiseau si pesant qu’il se laisse quelquefois prendre à la main[8]. Belon prétend que cette espèce de tetrao n’est point connue des modernes, qui, selon lui,

  1. Fragmenta librorum de Aucupio, attribués par quelques-uns au poète Nemesianus qui vivait dans le iiie siècle.
  2. « Et picta perdix, Numidicæque guttatæ. » Martial. C’est aussi très exactement le plumage de ces deux poules du duc de Ferrare, dont Gesner parle à l’article de la peintade, « totas cinereo colore, eoque albicante, cum nigris rotundisque maculis. » De Avibus, p. 481.
  3. « Decet tetraonas suus nitor, absolutaque nigritia, in superciliis cocci rubor… gignunt eos Alpes et septentrionalis regio. » Pline, lib. x, cap. xxii : Le tetrao des hautes montagnes de Crète, vu par Belon, ressemble fort à celui de Pline : il a, dit l’observateur français, une tache rouge de chaque côté joignant les yeux, et de force qu’il est noir devant l’estomac, ses plumes en reluisent. Observations de plusieurs singularités, etc., p. 11.
  4. « Capti animum despondent », dit Longolius.
  5. Frisch, Distribution méthodique des oiseaux, etc., fig. cviii.
  6. Plin., lib. x, cap. iii.
  7. J.-C. Scaliger, in Cardanum, exercit. 228.
  8. Cela est vrai à la lettre du petit tétras, comme on le verra dans l’article suivant.