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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/403

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prochant insensiblement, et faisant claquer leur fouet à propos, ils font lever les tétras et les poussent d’arbre en arbre du côté du tireur, qu’ils avertissent par des coups de voix, s’ils sont loin, ou par un coup de sifflet s’ils sont plus près ; mais on conçoit bien que cette chasse ne peut réussir qu’autant que le tireur a disposé toutes choses d’après la connaissance des mœurs et des habitudes de ces oiseaux. Les tétras, en volant d’un arbre sur un autre, choisissent d’un coup d’œil prompt et sûr les branches assez fortes pour les porter, sans même en excepter les branches verticales qu’ils font plier par le poids de leur corps, et ramènent en se posant dessus à une situation à peu près horizontale, en sorte qu’ils peuvent très bien s’y soutenir, quelque mobiles quelles soient : lorsqu’ils sont posés, leur sûreté est leur premier soin ; ils regardent de tous côtés, prêtant l’oreille, allongeant le cou pour reconnaître s’il n’y a point d’ennemis ; et lorsqu’ils se croient bien à l’abri des oiseaux de proie et des chasseurs, ils se mettent à manger les boutons des arbres. D’après cela, un tireur intelligent a soin de placer ses balvanes sur des rameaux flexibles auxquels il attache un cordon qu’il tire de temps en temps pour faire imiter aux balvanes les mouvements et les oscillations du tétras sur sa branche.

De plus, il a appris par l’expérience que, lorsqu’il fait un vent violent, on peut diriger la tête de ces balvanes contre le vent, mais que par un temps calme on doit les mettre les unes vis-à-vis des autres. Lorsque les tétras, poussés par les chasseurs de la manière que j’ai dit, viennent droit à la hutte du tireur, celui-ci peut juger, par une observation facile, s’ils s’y poseront ou non à portée de lui : si leur vol est inégal, s’ils s’approchent et s’éloignent alternativement en battant des ailes, il peut compter que, sinon toute la troupe, au moins quelques-uns, s’abattront près de lui ; si, au contraire, en prenant leur essor non loin de sa hutte, ils partent d’un vol rapide et soutenu, il peut conclure qu’ils iront en avant sans s’arrêter.

Lorsque les tétras se sont posés à portée du tireur, il en est averti par leurs cris réitérés jusqu’à trois fois ou même davantage : alors il se gardera bien de les tirer trop brusquement ; au contraire, il se tiendra immobile et sans faire le moindre bruit, dans sa hutte, pour leur donner le temps de faire toutes leurs observations et la reconnaissance du terrain ; après quoi, lorsqu’ils se seront bien établis sur leurs branches, et qu’ils commenceront à manger, il les tirera et les choisira à son aise ; mais quelque nombreuse que soit la troupe, fût-elle de cinquante et même de cent, on ne peut guère espérer d’en tuer plus d’un ou deux d’un seul coup ; car ces oiseaux se séparent en se perchant, et chacun choisit ordinairement son arbre pour se poser. Les arbres isolés sont plus avantageux qu’une forêt pleine ; et cette chasse est beaucoup plus facile lorsqu’ils se perchent que lorsqu’ils se tiennent à terre : cependant, quand il n’y a point de neige, on établit quelquefois les balvanes et la hutte dans les champs qui ont porté, la même année, de